On ne parlera pas de complexe. Novak Djokovic a justement bâti sa carrière sur la négation de ce genre de ressenti, quels que soient les mythes en face. Mais sa série négative face à Jannik Sinner avec trois défaites de rang, et une seule victoire dans leurs cinq derniers face-à-face, illustre quelque chose que, tout GOAT soit-il, il ne peut évacuer.
La force de frappe de l'Italien l'indispose. Il a du mal à ébranler cette machine qui ne se laisse pas déstabiliser. Et les trois balles de match d'affilée que Sinner avait sauvées en demi-finales de Coupe Davis en 2023, dont l'une vendangée par le Serbe sur un mauvais choix en passing, l'ont longtemps hanté.
Dix-huit mois plus tard, Sinner (23 ans) a planté son drapeau sur le toit du monde tandis que Djokovic redevient par séquences l'inaltérable joueur aussi impeccable dans la cadence du fond que dans les variations. Contre Alexander Zverev, en quarts de finale, il a tenu sa ligne, n'a rien lâché dans les rallyes à plus de trente frappes, et éteint l'Allemand dans le petit jeu.
Mais Sinner ne lui proposera évidemment pas le même challenge. « La différence entre Zverev, trop stéréotypé, et Sinner, c'est que le premier joue à trois mètres de sa ligne et le deuxième est campé dessus pour envoyer des pains, avec une pression colossale dès l'entame et une présence hallucinante », image Jean-François Caujolle, le directeur du tournoi de Marseille.
« Le plus impressionnant chez Sinner, c'est sa stabilité et sa constance à chaque point. Il n'y a quasiment jamais une erreur donnée, c'est toujours en voulant créer quelque chose, avec une intensité et une concentration maximales. C'est incroyable », ajoute Lucas Pouille, consultant Prime Video. « Il ne recule jamais et même s'il doit le faire, il revient très vite avec un équilibre parfait sur ses déplacements. En cadence, en puissance, je le trouve injouable », enchaîne Florent Serra, consultant pour RMC Sport.
Djokovic va tenter de cuisiner Sinner en variations, en slice, en amorties, en angles courts croisés
Pas rassurant, même pour Djokovic, qui a le QI tennis suffisamment développé pour tenter de trouver quelques solutions. Cuisiner l'Italien en variations, en slice, en amorties, en angles courts croisés pour le déplacer d'arrière en avant, et de droite à gauche, tout en tentant la présence au filet, on voit l'idée dans une rencontre à se sublimer.
Le Serbe a prouvé face à Zverev qu'il a le toucher et la panoplie pour le plan anti-métronome. « La petite faille qui existe encore chez Sinner, c'est le petit jeu, intervient Julien Varlet, consultant pour Canal+. Après, il faut pouvoir mettre la chose en place car Sinner frappe tellement fort du fond... »
Et l'Italien est rapide, jamais loin du filet car il joue sur sa ligne, et très fort dans le replacement puisqu'il « glisse de manière remarquable, avec une stabilité portée par des appuis au sol tout aussi remarquables », selon Caujolle, comme pour signifier que la surface ne sera pas une clé déterminante dans ce match, alors que le triple lauréat de Roland-Garros (2016, 2021, 2023) a gagné leur seule confrontation sur l'ocre à Monaco en 2021.
« Sinner va l'amener dans un combat physique, ce que n'a pas fait Zverev, il va lui rentrer dedans et tenir cette cadence »
Julien Varlet, consultant pour Canal+
Quatre ans plus tard, certaines données ont changé. « Il y a l'aspect ¨38 ans¨, poursuit Varlet. Sinner va l'amener dans un combat physique, ce que n'a pas fait Zverev. Il va lui rentrer dedans et tenir du premier au dernier point cette cadence. L'Italien a cette capacité à tenir sur le même rythme. Ce n'est pas une question de tronche. Ni de tactique. Mais est-ce que Djokovic va être capable de tenir l'intensité proposée par Sinner sur cinq sets ? Normalement, non. Mais avec lui, on ne sait jamais. Pour moi, ce serait un exploit monumental. »
« Le favori, c'est Sinner, mais Novak a ses chances, synthétise Pouille. Oui, il peut l'embêter, il peut y avoir un match très serré et très intense. En revanche, l'Italien m'a l'air dans une sacrée forme, tennistiquement, physiquement et mentalement. À cette intensité-là, si le match dure très longtemps, je pense que ça ira plutôt à l'avantage de Sinner. Ça sera je pense très accroché. Mais je n'aime pas enterrer Djokovic, c'est toujours le premier à prouver le contraire. » Car voilà la donnée impalpable, dans des matches où se construit la légende d'un pas supplémentaire, pour un 25e Grand Chelem ou un premier titre à Roland. Parfois, rien ne ressemble plus au tableau noir.
