Sa récente interview sur Canal Plus après la demi-finale aller FC Barcelone-Inter Milan (3-3), qui l'a vu s'exprimer dans un français fluide et facile, a rappelé qu'Henrikh Mkhitarian (36 ans), le joueur offensif de l'Inter, avait appris le français à l'école. Mais pas à Erevan (Arménie), sa ville de naissance : il l'a appris à Valence, où sa mère, Marina, et sa soeur, Monica, avaient suivi son père, Hamlet, deuxième buteur du Championnat d'URSS avec l'Ararat en 1984 (18 buts), qui avait débarqué dans la Drôme en 1989, où il allait faire passer le club local de la D4 à la D2.
L'entraîneur de l'époque, Pierre Ferrazzi, ancien buteur de Grenoble, Nantes, Reims et Ajaccio, se souvient : « J'avais pris l'USJOA, le club des Arméniens, en PH, et si l'on montait tous les ans, il nous fallait chercher ailleurs pour aller plus haut. Un jour, dans un match amical contre Kotayk Abovian, j'ai vu un joueur exceptionnel, et j'ai dit à mon président que s'il parvenait à le faire signer, on pourrait peut-être monter en D2. Après le match, il m'a rappelé à une heure du matin pour me dire que le joueur était d'accord. »
« L'éducation de son père était stricte, et il lui demandait toujours la permission pour aller jouer dans la piscine, par exemple... »
Pierre Ferrazzi, entraîneur de l'ASO Valence de 1984 à 1991
C'était Hamlet Mkhitarian, qui allait passer cinq saisons dans la Drôme, de 1989 à 1994, être le meilleur buteur de son groupe de D3, l'année de la montée en D2, faire la conquête de tous par ses buts et ses danses arméniennes, les soirs de fête, dans une ville où vivaient 10 000 Arméniens, dont une bonne partie accourait au stade Georges-Pompidou. « Il était très rapide, vif, physiquement exceptionnel », souligne Ferrazzi.
Le petit Henrikh n'était jamais loin : la légende familiale rapporte que son père devait lui faire croire qu'il partait au supermarché pour pouvoir aller à l'entraînement sans que son fils ne s'accroche à lui. « Tous les dimanches matin, raconte Ferrazzi, j'organisais un entraînement ludique, et les enfants venaient jouer avec nous. Henrikh était là, et je me souviens aussi qu'il est venu plusieurs fois à la maison. Mais l'éducation de son père était stricte, et il lui demandait toujours la permission pour aller jouer dans la piscine, par exemple... »
Après cinq saisons drômoises, Hamlet est parti à l'Ararat Issy-les-Moulineaux, mais il allait à peine jouer dans la région parisienne, où le drame et le deuil attendaient la famille. L'attaquant arménien souffrait de maux de tête depuis de longs mois quand une tumeur du cerveau avait été découverte. Trois opérations et seize mois plus tard, il s'est éteint à Erevan, à l'âge de 33 ans, alors que le petit Henrikh était âgé de six ans.
« Ma mère est devenue ma mère et mon père », dira le joueur de l'Inter. Valence n'a jamais oublié la famille, rentrée en Arménie, et la diaspora a maintenu le lien. « On a revu Henrikh, et sa mère, à l'occasion d'un amical entre l'Arménie et le Luxembourg, en 2013, à Valence », se souvient encore Ferrazzi.
Tous ont décidé d'honorer la mémoire d'Hamlet sans s'éloigner du foot. Marina, la mère, a travaillé à la Fédération arménienne. Monica, la soeur, qui a fait ses études à Lyon, a été la secrétaire de Michel Platini à l'UEFA.
Henrikh, qui parle sept langues, même s'il assure avoir un peu oublié son allemand et son portugais, qui avait échoué à convaincre les centres de formation de Marseille, Lyon et Lille, et qui a confié avoir vu « plus de trente fois » le film Les Yeux dans les Bleus, pour son idole de jeunesse Zinédine Zidane, a suivi les pas de son père. Dont il dit, aujourd'hui comme toujours : « J'espère qu'il est fier quand il me regarde de là-haut, parce que j'ai tout fait pour ça. »