Parfois, quelques mots peuvent changer un destin. Ceux que Trévor Clévenot a entendus, il y a presque dix-sept ans, dans un gymnase de Saint-Jean-d'Illac, ont tout changé. Lassé du foot après un passage par le centre de formation du FC Nantes puis celui des Girondins de Bordeaux, le jeune adolescent vient faire un essai en fin de saison avec l'équipe de volley du coin. Benoît Ognier, qui termine alors sa carrière pro avec le club bordelais, entraîne les minimes. Il se souvient d'un garçon de 14 ans, grand pour son âge, tête baissée à son arrivée.
Après quelques exercices pour évaluer son habilité balle en main, l'ancien central d'Asnières et de l'AS Cannes lui demande de servir smashé. « Je lui ai dit que je ne savais pas bien faire. Benoît m'a répondu que ce n'était pas grave de faire des erreurs. Que c'était même comme ça qu'on apprenait. Au foot, je n'avais pas droit de faire de faute, se souvient l'ancien défenseur central, resté très ami de Valentin Rongier depuis l'époque nantaise. Entendre cela a agi comme un déclic pour moi. J'ai switché direct sur le volley. »
Les mains ont remplacé les pieds, le reste se vit en accéléré. Les cadets à Saint-Jean avec une bande de potes, Dimitri Walgenwitz et Romain Devèze qu'il retrouvera tous deux en pro aux Spacer's de Toulouse, où Ognier est en charge du centre de formation. Une distinction de meilleur réceptionneur du Championnat en 2015, l'équipe de France dans la foulée avec un premier titre historique, la Ligue mondiale. Puis un départ, à seulement 22 ans à Piacenza, un des clubs les plus compliqués de l'Italie, où il vit une expérience délicate comme capitaine.
« Je ne lui ai pas appris à jouer au volley. Je l'ai accompagné, c'est différent, en le poussant à ne jamais faire le choix de la facilité quand il s'offre à soi »
Benoît Ognier
Tout cela n'aurait sans doute pas au lieu, sans cette rencontre avec Benoît Ognier, formateur passionné. « Sans lui, il n'y aurait pas eu de volley du tout », assure Clévenot. Son père, Alain, est pourtant un ancien international mais il trouvait ce sport technique trop peu dynamique pour son fils. « Gamin, Trévor jouait dans le jardin avec ses deux frères (Barthélémy et Corentin) et maîtrisait déjà les bases du jeu. Je ne lui ai pas appris à jouer au volley. Je l'ai accompagné, c'est différent, en le poussant à ne jamais faire le choix de la facilité quand il s'offre à soi », tempère Ognier, avec lequel il a noué un lien d'amitié très fort. Cette exigence imprègne son quotidien.
À Tours avec les jeunes Bleus, lors du stage de préparation à la Ligue des nations, qu'il attaquera mercredi soir avec la barrette de capitaine sous son numéro 17 - clin d'oeil à son département natal de Charente-Maritime - il s'est fait un devoir de ne jamais rater aucun geste facile. Et de réaliser chaque action avec une intensité folle. « Je suis le mec qui a le plus d'expérience, je dois transmettre cela aux nouveaux, qu'ils comprennent que c'est ainsi que l'équipe de France gagne », appuie-t-il. Cette rigueur se traduit aussi dans le temps qu'il accorde aux soins et à la récupération d'un corps de bientôt 31 ans (le 28 juin) et déjà 207 sélections, et en proie parfois à quelques pépins physiques. « Trévor est un besogneux, un travailleur méticuleux, rapporte sa mère Claudia Mignotte. Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme "le frein" chez les Bleus, car il est toujours le dernier à s'étirer ou à sortir de la douche. »
Le parcours de son fils, acteur majeur du doublé olympique Tokyo-Paris, et désigné meilleur joueur du monde en 2024 par la Fédération internationale en janvier, la remplit d'admiration mais ne l'étonne guère. « Sa détermination est impressionnante. Depuis tout petit, il est tellement volontaire... Il s'est entraîné des heures et des heures au baby-foot, juste pour battre ses deux grands frères. » Elle se souvient aussi de ses longues journées à la plage de Royan, quand du haut de ses 6 ans, il allait demander à chaque estivant de venir jouer avec lui au beach-volley, essuyant refus sur refus car jugé trop petit. « Je crois que tout le monde me connaissait mais personne ne disait jamais oui », se marre Clévenot, qui aujourd'hui ne décline jamais un autographe, en souvenir de ces moments-là.
Encore auteur d'une saison majuscule au ZiraatBank Ankara, avec lequel il a raflé le Championnat de Turquie et la Coupe d'Europe de la CEV (C2), le réceptionneur-attaquant au jeu complet, qui a prolongé avec le richissime club de la capitale turque, s'est fixé deux nouveaux sommets à atteindre : remporter le titre mondial, le seul qui manque aux Bleus, en septembre aux Philippines et aller décrocher un nouvel or olympique, en 2028 à Los Angeles, pour signer un triplé inédit. « C'est tout Trévor, ça, reprend Ognier. Il a un mental exceptionnel, qui lui permet d'utiliser ses capacités au maximum. Quand il a décidé quelque chose, c'est un fou furieux, presque habité par sa mission. » Aux Bleus de suivre le guide.