La dernière fois qu'on en avait croisé une paire, elle était aux pieds (nus) d'un daddy grisonnant en short et polo éponge marine en goguette à Deauville. Pas trop loin des pontons donc, contrairement à toutes ces citadines branchées qui l'ont adoptée dans leurs looks Instagram depuis septembre dernier. Elle, c'est la chaussure bateau, avec ses oeillets, ses lacets cuir et sa traditionnelle semelle gomme à rainures.
Pour les nostalgiques européens, qui ne jurent que par ce modèle emblématique de chez Sebago, la Dockside. Pour les puristes de la première heure, la Sperry Top Siders, née de l'autre côté de l'Atlantique sur les planches de Long Island. Icône des années 1980 au même titre que la VHS et le Rubik's Cube, elle a retrouvé les faveurs des shootings depuis le défilé printemps-été 2024 de la maison italienne Miu Miu.
« On assiste à un retour en force des vêtements patrimoniaux, analyse Camille Renier, directrice marketing de la marque TBS. Nos grands-parents, nos parents ont potentiellement pu en porter. Ce modèle renvoie à une idée de transmission, qui se croise avec un vrai besoin de nature, d'aventure, de loisirs. Mais évidemment, quand un acteur comme Miu Miu remet ce produit sur le devant de la scène, il y a derrière une vraie attractivité. »
Une attractivité telle que la maison espagnole Loewe a emboîté le pas lors de son défilé printemps-été 2025, et que les fameux mocassins de sport ont colonisé les premiers rangs des dernières fashion weeks. On les dit plus cools que leurs cousins traditionnels sans oeillets, on les décline en léopard ou en couleur flashy, et on voit des influenceuses les arborer au gré de judicieux placements de produits.
« Ce retour est tout sauf surprenant tellement cette chaussure statutaire, qui nous raconte l'aisance des bonnes familles, qu'elles fassent de la voile en Bretagne ou dans les Hamptons, colle aux désirs de l'époque, explique la journaliste du magazine Elle Charlotte Moreau. L'insouciance matérielle, le "chic nautique", un bon goût en titane. C'est ce qui rend toutes les pièces preppy indémodables, on aimera toujours le lifestyle qui va avec. »
Car la chaussure bateau tient une place centrale au sein du vestiaire « preppy » (traduction : BCBG) depuis qu'elle y a été référencée dans le guide officiel de l'écrivaine Lisa Birnbach devenu culte outre-Atlantique, best-seller du New York Times dans les années 1980. La Dockside, c'est la chaussure iconique de la mouvance « Sloane Ranger », cette élite de l'ouest de Londres incarnée par la princesse Lady Di : des jeunes de très bonne famille en polos rayés qui pratiquent à outrance le sport en plein air.
Revisitée à toutes les sauces
Un véritable retour aux sources pour ce mocassin dont la vocation, au tout début, était bien plus pratique qu'esthétique. Sa paternité est revendiquée dans les années 1930 par l'officier de marine américain Albert Sperry qui, las de glisser sur le pont de son bateau, décide de créer une chaussure avec semelle en gomme striée (après avoir examiné le dessous des pattes de son cocker).
La Circular Vamp Oxford équipe les membres de l'US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale puis évolue au fil des années pour devenir la Dock Shoe quand Sebago, lui, propose sa version, la Docksides, en 1970. Deux modèles adoptés par les étudiants de la fameuse Ivy League, mais aussi par John Fitzgerald Kennedy dans sa résidence de Hyannis Port.
Les deux marques américaines n'ont de cesse de se challenger, Sebago sponsorisant en 1984 un voilier dans l'America's Cup quand, trois ans plus tard, son rival équipera l'équipe nationale américaine dans la compétition. Côté français, TBS amène sa pierre à l'édifice en lançant le modèle Yole en 1983, en co-édition avec le skipper Pierre Follenfant, avant, trois ans plus tard, que Florence Arthaud n'appose sa signature sur le modèle féminin.
Plus tard, Michel Desjoyaux ou encore François Gabart la chausseront en course. « On est ravis qu'un de nos produits iconiques, qu'on n'a jamais lâché, retrouve ses lettres de noblesse car il a accompagné explorateurs et grands aventuriers, poursuit Camille Renier. Mais ce modèle était aussi fortement associé à l'univers du nautisme, majoritairement masculin, et il était important de l'ouvrir, de la démocratiser, de casser la barrière des genres et le faire coller aux codes actuels. »
Voici donc la chaussure bateau revisitée à toutes les sauces par à peu près toutes les marques : les blockbusters H & M, Zara, Pull & Bear ont dégainé leurs versions en cuir argenté ou brodé all over, comme les enseignes féminines plus haut de gamme type Sézane.
« Nos mocassins Caroline ont été créés en analysant les tendances de l'été 2025 et il était évident que le style mocassin bateau revisité allait ressortir, souligne-t-on du côté de la marque parisienne. Il y a une forte tendance inspirée des chaussures pour hommes et la chaussure bateau est un classique. Nous l'avons donc twistée avec une semelle moins casual et plus quotidienne pour un effet masculin chic, cela a été un succès dès sa sortie. »
Sur les lookbooks, elle est associée à un jean, un trench, une casquette. Elle se porte évidemment pieds nus, mais les adeptes les plus audacieuses n'hésitent pas à enfiler une paire de chaussettes avec. « L'inspiration atemporelle, c'est Jennifer Connelly dans Top Gun Maverick. Pull irlandais bleu marine, chino blanc, bateaux chocolat portées sans chaussettes et elle est à mourir de cool », conclut Charlotte Moreau. Évidemment qu'elle emballe Tom Cruise ensuite ! » Il y en a une, toutefois, qui n'a pas (encore) été emballée : quand TBS a proposé à Violette Dorange de joindre une paire de Lazaria à son pack d'ambassadrice pour le Vendée Globe, la navigatrice a préféré décliner.
