Quand elle sort de la piscine les joues rougies par deux heures d'efforts, Anastasiia Kirpichnikova s'étonne qu'on soit venu la voir à l'entraînement : « Ce n'est que pour moi ? » Oui, ce n'est que pour elle. Comme si elle avait oublié son statut de vice-championne olympique du 1 500 m. Ça lui paraît si loin. Loin de l'athlète qu'elle était l'an dernier. Loin de ses chronos. Loin de sa forme. Elle avoue que les émotions des JO s'effacent avec le temps.
Depuis le 31 juillet, elle a vécu dans une lessiveuse qui l'a projetée dans un autre monde. Celui d'une jeune femme qui prend l'existence avec la légèreté de ses 24 ans et les envies de son âge. « Qu'elle aime sortir et boire des canons, ça va peut-être choquer mais c'est son équilibre, explique son coach Philippe Lucas. Elle est comme ça, on ne change pas les gens. Je lui demande juste de faire attention à son alimentation, à sa récupération et aux massages. » Après des années de sacrifices, elle a donc profité de la vie.
« Après les Jeux, j'ai fait la fête toutes les nuits pendant deux mois »
Anastasiia Kirpichnikova
Finis les petits matins dans l'eau, terminée la souffrance d'avaler dix-huit kilomètres par jour, oubliés les jours sans fin à nager avec la médaille olympique accrochée à chaque coup de bras. « Après les Jeux, j'ai fait la fête toutes les nuits pendant deux mois », lance-t-elle avec sa franchise habituelle. Elle n'aurait jamais tenu si elle n'avait pas soulevé le couvercle de la cocotte-minute. « Ça fait six ans qu'elle travaille dur. Ce n'est pas le 50 crawl, c'est un effort terrible le 1500. Quand elle est arrivée en France, elle nageait 16'24. Pour passer à 15'40 et être vice-championne olympique, il faut travailler, rappelle son entraîneur. Cette année, je voulais la laisser tranquille. Qu'elle nage tranquille, aucun problème. »
Elle a remis un pied dans l'eau par intermittence, juste pour honorer son contrat avec le club de Montpellier lors des Championnats de France petit bassin en novembre avant d'enchaîner avec les Monde à Budapest en décembre (4e du 1500m) puis elle est repartie en vacances jusqu'en février. « Le premier mois, c'est bien passé mais le premier mois, c'est toujours bien, souligne-t-elle. C'est après que ça se complique quand ton corps commence à fatiguer. Là, tu te dis que tu n'as pas envie de nager encore trois ans et demi. » Un matin, c'est la panique quand elle découvre ses mains, ses pieds et sa bouche bleus. « Elle a pris peur, se souvient son entraîneur. Elle est partie en Russie parce qu'elle avait besoin d'être près de sa famille. » Là-bas, un médecin généraliste lui assène qu'elle « doit arrêter la natation car [elle] risque de mourir en raison de [s] on coeur. »
Un déclic après la panique
Choquée et en larmes, elle envoie un message à Philippe Lucas et finit par comprendre que ce docteur qui soigne « les papys et les mamies » n'a peut-être pas mesuré qu'il avait devant lui une sportive avec un gros coeur comme tous les athlètes de très haut niveau. Elle se rend alors à l'Insep pour consulter un spécialiste qui la rassure. Un déclic. « J'ai compris que je pouvais tout perdre. C'est ma vie, glisse-t-elle. Je me suis dit que je ne dirais plus que je n'ai pas envie de nager. Je suis très motivée. J'ai compris que je devais tout changer. »

Elle ne connaît pas l'origine de son problème mais il a disparu et tout va bien. C'est le temps des bonnes résolutions. Promis, juré, la fête est finie. Depuis trois semaines, elle s'entraîne avec abnégation car elle voit les échéances approcher avec un regard effrayé. « C'est très compliqué dans ma tête, j'ai peur, disait-elle vendredi dernier. Il reste un mois et douze jours avant les Championnats de France. » Le boulier tape sur le système. Sa tête qu'elle désigne comme un problème, elle la soigne aussi.
En décembre, elle a fait appel à un préparateur mental : « J'ai essayé avant les Championnats du monde à Budapest parce que j'étais très mal, raconte-t-elle. Il était russe, ça m'a un peu aidée mais je préfère trouver quelqu'un en France. Je n'aime pas trop la méthode russe, ce n'est pas trop mon style. » Son style ? Remettre la tête dans le guidon avec un objectif précis. Au Giant Open ce week-end, elle a prévu d'enchaîner toutes les courses du 50 m au 1 500 m puis de partir en Arménie pour un stage en altitude. Elle a lancé le compte à rebours en ne pensant qu'aux Championnats de France à Montpellier en juin.
« Je ne fais jamais ça, mais un vendredi après-midi, elle a mis sa combi pour un 1 500 et elle a fait 16'49. ça lui a coupé la soif »
Philippe Lucas, son entraîneur
Sur le mur de la salle de musculation, les chronos de qualifications pour les Mondiaux à Singapour sont affichés : 16'09 pour le 1 500 m. « Ma tête, c'est le problème. Je suis vice-championne olympique mais j'ai peur de ne pas me qualifier, ce n'est pas normal, estime la nageuse d'origine russe, naturalisée française en 2023. Quand Ledecky nage durant une compétition, elle ne se dit pas qu'elle ne va pas nager 16'09. » Ce chrono, elle l'a déjà réalisé plus de vingt fois (21), elle est passée sous les seize minutes à onze reprises mais aujourd'hui, elle en est encore loin.
Pour qu'elle intègre bien le chemin à parcourir, Philippe Lucas lui a proposé un test chronométrique, il y a trois semaines : « Je ne fais jamais ça, mais un vendredi après-midi, elle a mis sa combi pour un 1500 et elle a fait 16'49. Ça lui a coupé la soif. » À quarante secondes du temps de qualification. Inquiétant ? Pas vraiment pour le coach : « On va tout faire pour qu'elle se qualifie mais ce n'est pas gagné. Mais on sait qu'elle revient vite. C'est déjà pas mal. Elle n'a pas son poids de forme et il lui manque un peu de caisse qu'elle a perdue. » Il lui reste sa force mentale exceptionnelle. Même hors de forme en décembre à Budapest, elle y est allée. Même malade aux Championnats du monde à Doha en 2024, elle y est allée. Anastasiia Kirpichnikova ne renonce jamais.
Vendredi. Séries à partir de 9 h 30 : 50 m (F), 50 m pap (H), 100 m brasse (F), 200 m brasse (H), 200 m dos (F), 100 m (H), 200 m (F), 200 m pap (H), 400 m 4 nages (F), 400 m (H), 800 m (F), 50 m dos (H), 50 m (F), 50 m pap (H).
Finales à partir de 18 h : 800 m (F), 400 m (H), 50 m dos (H), 50 m (F), 50 m pap (H), 400 m 4 nages (F), 200 m brasse (H), 200 m dos (F), 200 m pap (H), 100 m brasse (F), 100 m (H), 200 m (F).