Il y a bien longtemps que les footballeurs qui jouent pour la troisième place ont compris qu'ils jouaient pour trois fois rien. Ils s'attellent avec leurs sentiments désaccordés à des petites finales assez minuscules, dont il ne restera pas grand-chose, juste un peu de poussière sur des palmarès que l'on visite rarement. Il ne nous semble pas, par exemple, que la génération Michel Platini ait fait la moindre différence entre sa quatrième place de la Coupe du monde 1982 et sa troisième place de la Coupe du monde 1986 (1), après deux matches majoritairement joués par les coiffeurs.
C'est comme ça, tout le monde s'en fiche, le football ne s'encombre pas de podium en dehors des Jeux Olympiques, et les battus des demi-finales ont beaucoup moins envie de gagner trois jours plus tard que de rentrer chez eux tout de suite. Même si une équipe éliminée en demi-finales de Ligue des nations tombe de moins haut et ne peut pas avoir très mal, par-delà son orgueil blessé et l'agacement extrême d'avoir encore perdu face à l'Espagne (4-5, jeudi), les Bleus vont avoir du mal à regrouper leur énergie et leur motivation autour d'un aussi faible enjeu, à quelques jours de partir aux États-Unis disputer la Coupe du monde des clubs (14 juin-13 juillet), pour une large part d'entre eux (2).
(2) Pour l'instant, 14 des 25 sélectionnés sont concernés : Pavard, Thuram (Inter), Mbappé, Tchouaméni (Real), Olise (Bayern), Gusto (Chelsea), Zaïre-Emery, L. Hernandez, Doué, plus Dembélé et Barcola, déjà rentrés (PSG), Kalulu, peut-être Kolo Muani (Juventus), Lenglet (Atlético).
De fait, il est souvent arrivé à Didier Deschamps, c'est aussi son métier, d'être un meilleur vendeur du match à venir qu'il ne l'a été, ce samedi, à Stuttgart, résumant cet Allemagne-France de ce considérable enthousiasme : « L'intérêt est relatif, mais on va le jouer. » D'une part, c'est une affiche qui a été rarement boudée, même quand elle est amicale. D'autre part, et à condition que leur sélectionneur leur dise la même chose, déjà, les joueurs ne doivent pas le croire complètement, parce que des générations de prétendants ont tout perdu dans des matches pour rien. Car si l'enjeu collectif sera infime, une manière accessoire de mieux finir ou de mal finir la saison, l'enjeu individuel sera exactement le même, et compliqué par une structure affaiblie, par définition.
Des enjeux individuels multiples
Cela vaudra pour les nouveaux, la deuxième sélection de Rayan Cherki, par exemple, mais aussi pour quelques anciens qui auraient grandement besoin, à un an de la Coupe du monde, de redevenir des membres actifs, chacun dans un genre différent : le champion du monde Benjamin Pavard a besoin que Didier Deschamps croie à nouveau en lui, après que le sélectionneur a été très économe en preuves d'amour, alors que Marcus Thuram doit s'arracher à une terrible moyenne de buts (29 sélections, 2 buts) qui ne peut pas convenir à un joueur majeur de la Serie A.
Mais après France-Espagne, et puisqu'aucune continuité n'est réellement envisageable sous l'effet des nombreux changements, le prolongement de la remarquable fin de match de Cherki va attirer les regards. Le schéma d'une titularisation qui récompense une aussi belle entrée en jeu est traditionnel, et parfois un peu décevant, tant il implique une autre pression et un autre cadre, pour un créateur qui préfère le désordre d'une fin de match à l'ordre du début, mais qui continue de grandir à la fois par la discipline et la liberté.
Si Cherki enchaîne, c'est parce que le 4-2-3-1 enchaîne aussi, moins coupable de la défaite de jeudi que la défense inhabituelle, et dont on ignore exactement ce que Deschamps compte en faire : le sélectionneur a toujours poussé les explorations dans les années impaires, et il est toujours revenu aux bases à l'aube des phases finales. Alors, avant d'entamer en septembre le court parcours qualificatif de Coupe du monde en croisant l'Ukraine, l'Islande et l'Azerbaïdjan, ce baisser de rideau international ne dira pas tout, et peut-être même pas grand-chose. Mais en équipe de France, il n'y a pas de match pour rien, ou alors pas pour tout le monde.