Puisque le foot a peu de mémoire, l'entrée en jeu formidable de Rayan Cherki face à l'Espagne (4-5), jeudi soir, a parfois recouvert, dans les conversations, le beau printemps de Michael Olise face à la Croatie (2-0, 5-4 aux t.a.b.), en mars. Il est possible, pourtant, de souligner l'une et de se souvenir de l'autre. Ces emballements sont liés à la nature de ces talents, à ce jeu sur un fil qui fascine dès que l'artiste n'en tombe pas, et qui déçoit quand le rapport risques-bénéfices s'inverse.
La réalité est que l'on s'emballe toujours pour une première entrée en jeu réussie d'un créateur : les exemples de Zinédine Zidane (doublé contre la République tchèque, 2-2, en août 1994 à Bordeaux) et de Marvin Martin (doublé en Ukraine, 4-1, en juin 2011) semblent montrer qu'on a raison une fois sur deux, dans le meilleur des cas, et qu'il vaut mieux attendre, un peu. On a une idée, quand même, duquel des deux Cherki (1 but et 1 passe décisive) est le plus proche, après la manière dont il est entré dans la carrière internationale, à Stuttgart, en demi-finales de la Ligue des nations.
Joueur jeune (21 ans) mais de grande expérience (209 apparitions en club, sélections Espoirs et A), le Lyonnais a rappelé tout à la fois qu'il pouvait changer un match en sortant du banc, qu'il était devenu un joueur de statistiques, cette saison, mais que c'était avant tout son génie de la passe qui le distinguait des autres. S'installer dans une équipe en entrant en cours de match, c'est l'histoire de sa vie : il l'a fait longtemps en Espoirs (9 de ses 12 premières sélections ont été des entrées en jeu, avec 3 buts lors des 2 premières), et plus longtemps encore à l'OL, notamment sous Peter Bosz et Pierre Sage. À court et moyen terme, cela pourrait être un axe important de son avenir international : dans une phase finale de Coupe du monde, tous les sélectionneurs cherchent un joueur décisif sur leur banc.
« Il comprend tout, sait ce qu'il fait de mal, mais il faut lui montrer les choses »
Ludovic Giuly, ancien membre du staff de l'OL
Ludovic Giuly, qui a eu une influence importante sur Cherki lors de sa saison dans le staff de l'OL, en 2022-2023, et qui est resté très proche de lui, souligne : « C'est un joueur qui a beaucoup d'objectifs, et beaucoup de talent. Comme pour les jeunes du PSG, Désiré Doué et Bradley Barcola, la pression ne veut pas dire grand-chose pour lui. Ce n'est que sa deuxième saison pleine, et il a su travailler sur la continuité. La saison que l'on a passée ensemble, on faisait de la vidéo tous les deux ou trois jours : il comprend tout, sait ce qu'il fait de mal, mais il faut lui montrer les choses. »
Ce qui a changé, paradoxalement, est l'apparition conjointe dans son jeu de statistiques et de la volonté d'une influence collective plus forte, soit exactement ce qu'il a montré à Stuttgart. Depuis début février, il a été 24 fois décisif en 21 matches (9 buts, 15 passes), et Giuly décrit l'autre aspect de sa transformation, visible sur les premiers ballons touchés face à l'Espagne : « Il a compris qu'il pouvait faire joueur l'équipe en distribuant. Il peut marquer, dribbler, il a des facilités énormes dans les petits espaces, mais ce sont ses passes incroyables, qu'il voit avant les autres ou qu'il est le seul à voir, qui changent tout. »
Il peut espérer débuter dimanche
À l'échelle de l'équipe de France, son énorme concurrence offensive, sa recherche d'équilibre que le 4-2-3-1 ne pourra pas toujours satisfaire, l'avenir à moyen terme de Cherki peut se situer en sortie de banc. Dans un 4-3-3 au départ d'un match, il serait un peu plus contraint, même s'il a beaucoup progressé dans la manière, comme disait Sylvain Ripoll, l'ancien sélectionneur des Espoirs, « d'être connecté dans l'immédiateté après la perte de balle ».
Mais, à court terme, il peut espérer être dans l'équipe de départ du match pour la troisième place, contre l'Allemagne dimanche, en relais de titulaires qui en ont plein les bottes avant de partir à la Coupe du monde des clubs. « Il ne va pas se limiter, souligne encore Giuly, mais pour l'instant, il doit entrer dans le groupe, aussi, autant qu'entrer dans l'équipe. Mais c'est un passionné de foot qui va vite comprendre le jeu des autres. »