Le 3 juin 2021, Philippe Diallo apprenait par un simple communiqué qu'il n'était pas retenu pour diriger Foot Unis, le syndicat unifié des clubs. Pour le poste, Marie-Hélène Patry, sa rivale, était choisie. Directeur général depuis trente ans de l'UCPF, la structure historique de défense des clubs, Diallo se retrouvait sans emploi. Et très amer face à l'ingratitude d'un secteur professionnel qu'il a servi sans relâche.
Quatre ans plus tard, l'homme de l'ombre, licencié sans ménagement, préside désormais, comme il l'a fait samedi à Clairefontaine, l'assemblée générale de la FFF, peaufine une réforme de la gouvernance qui va faire de lui le patron incontesté du football amateur mais aussi professionnel, va bientôt choisir le successeur de Didier Deschamps à la tête des Bleus et s'assoit régulièrement en tribune à côté du président Emmanuel Macron lors des matches de l'équipe de France. De quoi donner le vertige.
Depuis son arrivée à la présidence de la FFF, d'abord comme intérimaire pour remplacer Noël Le Graët, en janvier 2023, puis après son élection en juin de la même année, puis à nouveau en décembre 2024, Diallo a bien évolué. Au départ, il était jugé trop effacé, incapable de décider rapidement ou de prendre des risques. Pour chaque problème, il avait le réflexe un peu technocratique de réunir un groupe de travail chargé de réfléchir et de fournir, éventuellement, des recommandations. Mais peu à peu, il s'est émancipé, au point aujourd'hui de trancher dans le vif sans craindre les éclaboussures. Comme pour la réforme de la gouvernance du football français où il a surpris tout son monde.
Profitant de la faiblesse des dirigeants de la Ligue, empêtrés dans le marasme des droits télé, il a joué sa partie sans états d'âme. Le 12 mai, il a réuni une conférence de presse pour annoncer son plan, une « Premier League à la française » avec une Ligue de football professionnel transformée en société de clubs. Le tout sous l'autorité de la FFF. Une idée qui n'était au départ pas complètement la sienne, dont il s'est habilement approprié toute la paternité. Au cours de la présentation, comme il le fait désormais sans gêne particulière, il a souvent employé le « je ». Et a eu des mots assez durs pour la LFP, qualifiée de « coquille vide ». Une formule qu'il a regrettée ensuite auprès des intéressés et dans nos colonnes. Ce jour-là, il n'a pas eu un seul mot aimable pour Vincent Labrune, le controversé président de la Ligue, amené à s'effacer dans un avenir proche.
Pour beaucoup, la mue de Diallo est spectaculaire. Peut-être aidée par une communication encadrée par la puissante société de communication Image 7 d'Anne Méaux et par un conseiller interne, avant l'arrivée imminente d'une nouvelle directrice de la communication. « C'est une professionnalisation de la Fédération », juge Jean-François Villotte, le directeur général de la FFF.
Une cassure avec Vincent Labrune
Mais Diallo est aussi suspecté d'aller trop loin et de profiter de manière un peu trop voyante de la situation. Devant les clubs pros, il a ainsi assuré ne pas vouloir faire chuter leur représentation de 33 % à 25 % à l'assemblée fédérale. Mais finalement, le texte adopté mardi au Sénat prévoit une telle baisse. Idem pour la possibilité donnée à la FFF de dissoudre la Ligue si aucun accord n'est trouvé entre les deux parties après trois mois de négociation. Lors de l'assemblée de samedi, ni Labrune ni son directeur général Arnaud Rouger n'étaient présents (*). Les présidents de clubs pros, dans leur immense majorité, n'ont pas non plus fait le déplacement jusqu'à Clairefontaine pour l'événement. Et un petit vent de fronde est en train de monter.
« Je ne suis pas le président du football amateur, mais de tout le football français. Mon engagement doit être auprès de la société française dans son ensemble »
Philippe Diallo
Dans nos colonnes, David Terrier, le président de l'UNFP, le syndicat des joueurs, a ainsi regretté de ne pas être associé à la réforme. « Philippe Diallo m'a dit que nous aurions notre place dans un conseil de surveillance de la nouvelle structure, racontait-il. Mais à date, on ne sait pas s'il y aura un conseil de surveillance. J'espère que la Fédération, de manière très inquiétante et rétrograde, ne va pas prendre le même chemin que la FIFA et décider des règles sans les joueurs. Sans les associer ! Comme pour le calendrier... Faut-il que nous engagions des actions contre la Fédération ou l'État pour être compris ? »
Attaqué, Diallo se défend : « J'ai une idée assez claire de ce que doit être le président d'une grande Fédération. J'ai conscience de mon rôle et de ma responsabilité. C'est un élément très précis dans ma tête. Je ne suis pas le président du football amateur, mais de tout le football français. Mon engagement doit être auprès de la société française dans son ensemble. » Sur le boycott des dirigeants de la LFP, le patron de la FFF marche sur des oeufs « Je regrette qu'ils ne soient pas là, lâche-t-il. Je ne veux pas de polémiques inutiles avec le football professionnel. Il n'y a pas de manoeuvres de la Fédération. Ce qui se passe est aussi la conséquence d'une dégradation de l'image qui conduit à un durcissement de la loi. »
« On est en train de traverser une tempête qui mérite des décisions rapides. Il joue parfaitement son rôle »
Jean-Michel Aulas, vice-président de la FFF
Son vice-président Jean-Michel Aulas a perçu l'évolution de Diallo, qu'il explique à sa manière. « Il a son comex groupé derrière lui, ce qui lui permet de parler à la première personne, estime l'ancien boss de l'OL. Je vois son évolution, mais c'est parce qu'il est entouré de gens compétents et il peut s'approprier par le "je" une unité totale derrière lui. On est en train de traverser une tempête qui mérite des décisions rapides. Il joue parfaitement son rôle. » Même sentiment chez Pierre Ferracci, le président du Paris FC : « Philippe a pris la mesure des difficultés du football professionnel. Je suis pour une Ligue forte et une Fédération forte. »
Homme consensuel, Diallo commence pourtant à se faire des ennemis. Mais c'est aussi le signe qu'il compte. Et qu'il a remporté la partie face à la Ligue. Car l'image de la FFF, au plus mal il y a encore très peu de temps, est restaurée. Et celle du foot pro bien abîmée. Qui aurait fait le pari que l'éternel numéro 2, qui ne faisait pas suffisamment valoir ses compétences qui sont pourtant reconnues, en serait là aujourd'hui ? Sans doute pas les présidents de clubs pros qui l'ont viré il y a quatre ans et qu'il domine désormais.