Walter Godefroot : « J'étais le meilleur adversaire de Merckx »
Deux fois vainqueur du Tour des Flandres à dix ans d'intervalle (1968 et 1978), le Belge a vécu toute sa carrière dans l'ombre du Cannibale. Sans jamais le moindre complexe.
Le 30 mars 1968, Walter Godefroot (maillot rouge) remporte le Tour des Flandres, devant son rival de toujours, Eddy Merckx, en tête sur cette photo. (L'Équipe)
Le 30 mars 1968, Walter Godefroot (maillot rouge) remporte le Tour des Flandres, devant son rival de toujours, Eddy Merckx, en tête sur cette photo. (L'Équipe)
Le 30 mars 1968, Walter Godefroot (maillot rouge) remporte le Tour des Flandres, devant son rival de toujours, Eddy Merckx, en tête sur cette photo. (L'Équipe)

Walter Godefroot : « J'étais le meilleur adversaire de Merckx »

Deux fois vainqueur du Tour des Flandres à dix ans d'intervalle (1968 et 1978), le Belge a vécu toute sa carrière dans l'ombre du Cannibale. Sans jamais le moindre complexe.

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À 77 ans, Walter Godefroot continue à s'entretenir par des sorties de 40 kilomètres autour de chez lui, dans la région de Gand. « Mais seulement quand il fait beau. Je ne suis plus un vrai Flandrien », rigole-t-il. L'ancien champion belge des années 1960 et 1970 n'a rien perdu de son regard avisé sur son sport, il ne rate rien des courses de vélo télévisées. Encore moins à l'approche du Tour des Flandres qu'il connaît par coeur, lui qui avait glissé à l'oreille de l'organisateur l'existence d'un mont qui pourrait s'ajouter au parcours, le Koppenberg, devenu célèbre depuis. Mais c'est sa rivalité avec Eddy Merckx qui le rend le plus prolixe encore aujourd'hui.

L'ÉQUIPE
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« Quand vous voyez le duel entre Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel, ça vous rappelle des souvenirs ?
Il y avait des beaux duels aussi à mon époque mais ça reste rare de voir deux coureurs du même âge avec quasiment le même niveau sur les mêmes courses. Cette rivalité fait du bien au cyclisme, ça redonne encore plus d'intérêt.

Vous avez dirigé le père de Mathieu chez Weinmann, c'est sous vos couleurs qu'il avait gagné l'Amstel en 1990, trente ans avant son fils.
Oui, mais je vous arrête tout de suite. Mathieu ce n'est pas un Van der Poel, Adrie était un bon coureur mais son fils c'est un vrai Poulidor. Quand je vois sa façon de courir, il me rappelle tellement son grand-père ! J'ai l'impression parfois de replonger cinquante ans en arrière.

Walter Godefroot EN BREF
Belge.
77 ans.
Pro de 1965 à 1979.
Palmarès : 2 Tour des Flandres (1968 et 1978), Paris-Roubaix (1969), Liège-Bastogne-Liège (1967), Gand-Wevelgem (1968), 2 Bordeaux-Paris (1969 et 1976), 2 Championnats de Belgique sur route (1965 et 1972), 10 étapes du Tour de France, 4 de la Vuelta.
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On dit aussi que Wout Van Aert est le nouveau Rik Van Looy.
Parce qu'il est originaire de la même ville, Herentals. Mais la comparaison s'arrête là, Van Aert ressemble bien plus à Roger De Vlaeminck qui pouvait courir la Ruta del Sol et rentrer le dimanche soir en Belgique pour commencer le lendemain les Six-Jours d'Anvers. Roger était le coureur le plus complet que j'ai connu et Van Aert me semble prendre la même voie. Il est excellent dans tous les domaines. Mais aussi parce que Mathieu le pousse à élever son niveau.

Comme vous à votre époque avec Eddy Merckx ? On raconte que vous étiez sa bête noire.
C'est ce qu'on a dit en effet et ce qu'on raconte encore aujourd'hui. Mais moi je ne suis pas capable de vous dire si c'est vrai ou pas. Il n'y a pas très longtemps, aux obsèques d'un ami commun, Eddy est venu avec son petit-fils. En me présentant, il lui a dit : "Celui-là, c'est le coureur qui m'a le plus souvent battu." Venant de la bouche d'Eddy, c'était évidemment un très beau compliment. Je lui ai dit en rigolant d'arrêter de me présenter comme son dauphin, c'était loin d'être le cas.

« Si on avait joué au football, Eddy aurait été l'avant-centre, celui qui conclut le travail, et moi je serais resté dans l'ombre en milieu de terrain, plus pour organiser le travail »

Eddy Merckx a aussi dit qu'il aurait gagné plus de courses si vous n'aviez pas été là.
C'est gentil de sa part, mais je ne pense pas qu'il en aurait gagné beaucoup plus. Il aurait pu rajouter un Paris-Roubaix, deux titres de champion de Belgique, un Liège-Bastogne-Liège car ces fois-là, il a fini deuxième derrière moi.

Le 9 avril 1978, à 34 ans, Walter Godefroot gagne pour la deuxième fois le Ronde. (L'Équipe)
Le 9 avril 1978, à 34 ans, Walter Godefroot gagne pour la deuxième fois le Ronde. (L'Équipe)

Et votre carrière, aurait-elle été différente sans Eddy Merckx ?
Je n'avais pas le caractère d'un champion comme Eddy. Si on avait joué au football, lui aurait été l'avant-centre, celui qui conclut le travail, et moi je serais resté dans l'ombre en milieu de terrain, plus pour organiser le travail. Je manquais certainement d'égoïsme, contrairement à Eddy ou Roger De Vlaeminck qui voulaient tout gagner. Tout est question de caractère. Avant même de devenir directeur sportif après ma carrière, je pense que j'avais déjà l'âme d'un dirigeant. Quand j'étais chez Peugeot ou Salvarani, j'étais le chef de l'équipe. J'étais le capitaine de route mais pas le leader. C'est la différence entre Eddy Merckx et moi.

Vous vous êtes pourtant forgé un sacré palmarès.
Parce que j'aimais rouler à bloc, faire mal à mes adversaires. Mais au fond, je n'étais pas porté absolument vers la victoire. Un grand champion ne pense qu'à ça. C'est pour cette raison que je ne me suis jamais considéré comme un égal d'Eddy Merckx. Mais ça ne me rendait pas du tout jaloux.

« J'étais fataliste quand je voyais Eddy au départ d'une course, il n'y avait pas d'autre choix »

Mais la présence d'Eddy Merckx vous a empêché de gagner certaines courses ?
J'étais fataliste quand je voyais Eddy au départ d'une course, il n'y avait pas d'autre choix. Évidemment, sa présence m'a privé de victoires. Il avait une force de réaction qui nous cassait les ailes. Je me souviens de Paris-Roubaix en 1973, quand j'étais en poursuite derrière Eddy avec Roger Rosiers. Il nous avait laissés espérer en nous offrant le loisir de revenir tout juste sur lui, au moment même où il accélérait à nouveau pour nous planter là, sans forces. Mais j'avais fini deuxième et j'étais heureux quand même. Ce qui ne pouvait jamais arriver à Eddy qui était toujours déprimé quand il ne gagnait pas une course.

Finir deuxième derrière Merckx équivalait à une victoire ?
Je n'avais pas le même esprit que les grands champions. Si je terminais troisième d'une course avec le sentiment d'avoir bien travaillé, je rentrais heureux à la maison. Ce n'était pas la présence ou pas d'Eddy qui définissait ma satisfaction. Je n'ai jamais senti plus de bonheur de gagner en le battant.

Vous souvenez-vous de la première fois que vous l'avez rencontré ?
Non, mais Eddy me l'a rappelé il n'y a pas longtemps. C'était sur une course locale à Ekloo. Au moment du sprint, il m'avait fermé la porte et j'ai évité de justesse la chute. Je suis allé le voir après l'arrivée et je lui ai dit que ce n'était qu'un sport et qu'on n'était pas là pour faire chuter ses adversaires. Ma réaction avait dû le marquer car il s'en souvient toujours alors qu'on n'était pas encore professionnels.

Walter Godefroot à son domicile de Drongen, près de Gand, en mars 2018. (Nico Vereecken / PhotoNews/Panoramic)
Walter Godefroot à son domicile de Drongen, près de Gand, en mars 2018. (Nico Vereecken / PhotoNews/Panoramic)

Vous aviez déjà remarqué, à ce moment-là, qu'il deviendrait le grand champion qu'on connaît ?
Non, pas vraiment, car à cette époque, il y avait une génération de coureurs talentueux avec Roger Swerts, Herman Van Loo ou Herman Van Springel, Eddy ne sortait pas encore du lot, même s'il avait été champion de Belgique amateurs. Pour moi, il est toujours resté un adversaire comme les autres, je ne voyais pas en lui un coureur inabordable. C'est plus tard, une fois qu'on avait fini notre carrière qu'on a vraiment compris ce qu'il avait fait de grand.

Est-ce qu'Eddy Merckx a changé votre façon de courir ?
Non, j'ai toujours couru pour moi sans me soucier de lui. On a débuté ensemble chez les pros en 1965 et j'ai fini un an après lui, en 1979. Il y a eu des coureurs qui ont croisé Merckx mais le seul à avoir tout fait avec lui, c'est moi. Je n'ai jamais fait de complexe face à Eddy. Mais je crois aussi qu'il préférait être battu par moi que par un coureur de moindre importance comme au GP E3 en 1972. On était échappés avec Hutsebaut, Eddy m'avait regardé avant l'arrivée comme si c'était une formalité que je remporte le sprint. On connaissait à peine Hutsebaut mais il a été le plus rapide ce jour-là. Sans doute que ça avait vexé Eddy d'être battu ainsi par un inconnu et non pas par Godefroot.

Eddy n'a jamais voulu que vous courriez dans son équipe ?
Si, une fois. Après les Championnats du monde à Gap en 1972, on logeait au Novotel de Lyon, on avait bien bu tous les deux ce soir-là, on relâchait la pression et là il m'a dit qu'il me voulait dans son équipe. Je me souviens parfaitement de ses mots : "Walter, tu es le seul sprinteur que j'aimerais avoir à mes côtés, tous les autres sont des concurrents. Tu es le seul capable de travailler pour l'équipe." J'étais alors en fin de contrat chez Peugeot et lui était chez Molteni, on avait vraiment de bonnes relations, il y avait un respect. Tout le monde respectait Eddy mais lui aussi respectait tout le monde, c'est pour cette raison qu'il n'avait pas d'ennemis.

« Quand je courais contre Eddy, je ne me suis jamais senti comme le numéro 2 derrière lui, sinon j'aurais arrêté ma carrière aussitôt »

Pourquoi ne pas avoir accepté alors ?
Je le regrette encore aujourd'hui. Si j'avais suivi Eddy chez Molteni, j'aurais gagné plus de courses, il m'aurait aussi aidé comme moi je l'aurais fait pour lui. Ça ne l'empêchait pas ensuite de venir me voir parfois avant une course pour avoir mon avis sur le vent. Les bordures, c'était ma grande spécialité et du coup je savais jouer avec les changements de direction du vent. On était des adversaires mais aussi des collègues.

Vous ne vous êtes jamais embrouillé avec Eddy ?
Si, si... au tout début de notre carrière. En 1967, je n'avais pas été sélectionné pour le Championnat du monde à Heerlen aux Pays-Bas alors que j'avais gagné Liège-Bastogne-Liège. Un journaliste m'avait confié que c'est Eddy qui était intervenu en personne pour que je ne sois pas retenu. J'ai cru cette histoire pendant près d'un an, avant de lui en parler. Il m'a assuré que tout ça était faux, qu'il imposait en effet ses équipiers mais que jamais il aurait demandé de retirer le nom d'un autre coureur de la liste. Je l'ai cru, plus que le journaliste. Eddy n'a jamais été un menteur.

Dans les journaux, vous étiez moins exposé que lui ?
Eddy prenait toute la publicité évidemment. Dans un journal flamand, au lendemain de ma victoire à Liège-Bastogne-Liège, le gros titre était : "Merckx a été trahi" parce qu'il ne connaissait pas l'arrivée, et en dessous il y avait un tout petit article : "Godefroot gagne à Liège". Ça m'avait vraiment vexé mais je me suis habitué par la suite à vivre dans l'ombre d'Eddy, ça ne me dérangeait pas.

Avec du recul, pensez-vous avoir été la victime d'Eddy Merckx durant votre carrière ?
Non, j'ai plutôt été son meilleur adversaire. Ça résume mieux mon état d'esprit quand je courais contre Eddy. Je ne me suis jamais senti comme le numéro 2 derrière lui, sinon j'aurais arrêté ma carrière aussitôt. »

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R
registhibault Un beau champion ????
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