Bruno Vauquelin s'est isolé dans le jardin familial « parce que ma femme va me faire pleurer ». Valérie, la mère de Kévin Vauquelin, n'a en effet pu retenir ses larmes en voyant son fils à la télévision, 4e du chrono et battu par Joao Almeida au classement général. « Elle ne pleure pas parce qu'il a perdu mais parce qu'elle l'a entendu parler. » Devant sa télé, on en connaît un autre, Emmanuel Hubert, le patron d'Arkéa - B & B Hôtels, qui a vacillé quand son leader, à peine la ligne d'arrivée passée, a déclaré à La Chaîne L'Équipe : « On ne va pas se mentir, face à des équipes comme UAE, ce n'est pas la même. Cette semaine, on n'avait pas de cuistot, beaucoup moins de moyens, car on est dans une situation financière compliquée, confie le coureur de 24 ans. Pour Manu Hubert, c'est très compliqué. Mais on s'en sort, on montre qu'on est là, que les coureurs et le staff donnent le maximum, et j'espère que nos résultats vont attirer des sponsors. Je me suis construit grâce à l'équipe quand je suis passé pro en 2022, j'ai grandi avec eux. »
Rien ne fut simple pourtant pour le Normand, bien que, très tôt, il fut sous les radars chez les jeunes. Mais, en 2020, après avoir tenté l'aventure au centre de formation de Chambéry, il décrocha : « Le mec qui le découvre, c'est Jean-Philippe Yon, un copain depuis plus de 30 ans, rappelle Hubert. Un jour, il me dit, "j'ai un minot qui est à Chambéry, il n'est pas très bien, rempli de doutes. Mais il va vite en chrono, sur piste". J'avais confiance. Je lui ai dit : "reprends-le chez toi au VC Rouen, tu lui redonnes les bases, tu lui redonnes le goût au vélo et il vient chez moi." »
« C'est un garçon au demeurant adorable mais qu'il a fallu canaliser un petit peu »
Léonard Cosnier, ancien technicien de la piste au Pôle France de Bourges
Son père n'a pas oublié cette période critique : « Kévin nous a appelés la veille du confinement, il pleurait. Quand c'est ton gamin, tu y vas, on a fait l'aller-retour. Kévin, il a besoin d'une ambiance. Depuis qu'il est chez Arkéa, il n'a rencontré que des gens sympas, il avait besoin de ça. » Le paternel n'est donc pas surpris par la sortie médiatique du fiston, certes préparée mais sincère : « Il est gentil, il a toujours été comme ça. Il a toujours été reconnaissant de ce que les autres ont fait pour lui. »
Quand Léonard Cosnier, son ancien technicien de la piste au Pôle France de Bourges, repense à leur rencontre, il évoque « une aventure mais une aventure positive. C'est un garçon au demeurant adorable mais qu'il a fallu canaliser un petit peu (rires). » Hyperactif (« il a voulu faire du tir au pistolet mais il était trop speed », sourit son père), « dans la lune et impatient » aussi se souvient Cosnier, aujourd'hui entraîneur au sein de l'équipe développement d'Arkéa : « il a toujours voulu aller vite et en oubliant quelquefois les bases. Mais c'était un diamant brut, clairement un talent. Il a très bien évolué, il a passé les étapes les unes après les autres. »
Au prix d'une gestion des émotions qui peut le fragiliser, entre une énorme confiance en lui et des doutes qui l'assaillent ou en tout cas dont il se nourrit. Lors du Région Pays de Loire Tour qu'il a remporté en avril, il avait échangé en course avec son ancien directeur sportif, Yvon Caër : « quand il passe devant ma voiture, je lui dis "alors feu d'artifice Vauquelin aujourd'hui ?" Il me répond qu'il a mal au psoas. Bon, derrière, il a gagné. » Une cyclothymie pas toujours simple à vivre pour ses proches, il en a conscience. Yon, « son deuxième père » dixit son propre père, appuie le propos : « il est très exigeant avec les autres, il faut être à la hauteur de sa demande. » Parce que, malgré son immaturité soulignée par tous, « c'est un gros travailleur, se remémore Cosnier. Il est capable de se surpasser et de se mettre dans des états pas possibles pour performer. »
« C'est un jeune de 24 ans mais c'est une de mes plus belles rencontres de patron d'équipe »
Emmanuel Hubert, patron d'Arkéa-B & B Hôtels
Dimanche, sur les pentes de Stockhütte, ce ne fut pas suffisant, malgré la vidéo envoyée par son patron, gardien de ce sport mémoriel. Des images vintages qui montrent Jean-François Bernard, lors du chrono du Tour 1987, la chaîne qui pendouillait autour de son cou, un bandeau à la Björn Borg et son beau maillot Toshiba : « Je lui ai dit : "ça a été le chrono de sa vie. Toi, ce n'est peut-être pas le chrono de ta vie, mais c'est le chrono du début de ta carrière de grand coureur". Il m'a répondu : "ça me fait vibrer." »
En fin de journée, retour de boomerang pour Hubert, tout retourné par la semaine vécue en Suisse et, donc, par les mots de son coureur : « C'est un jeune de 24 ans mais c'est une de mes plus belles rencontres de patron d'équipe. » L'an prochain, parce qu'il n'est pas certain que les deux partenaires poursuivent avec la formation bretonne (les contrats prennent fin en décembre), il pourrait aller voir ailleurs. On a vu des managers en Suisse lui faire la danse du ventre. Lui assure n'avoir signé nulle part alors que de son propre aveu, il a passé « des paliers sur le Tour de Suisse. Je suis quand même 2e au général, c'est juste phénoménal ».