Le Giro est un château de cartes qui se monte et se démonte un jour après l'autre dans un ballet permanent, excitant, où personne ne peut se croire arrivé sous peine de déchanter le lendemain. Mardi, San Valentino avait des allures de chemin de croix pour les uns, de bénédiction pour les autres. Plus la fin approche et plus les incertitudes sont grandes finalement.
UAE perd très gros
Peut-être fallait y voir un signe. Lors de la première journée de repos, UAE Emirates avait organisé sa conférence de presse autour de ses deux atouts, Isaac del Toro et Juan Ayuso, au milieu desquels figurait le manager Fernandez Matxin. Lundi, lors de la deuxième journée de repos, c'est Del Toro qui encadrait Matxin et le directeur sportif Fabio Baldato. Pas d'Ayuso, pourtant présenté comme (toujours) leader. La formation émiratie savait-elle que l'Espagnol n'était pas bien ? Il a en tout cas pris un éclat mardi, lâché à 45 km de l'arrivée et sanctionné d'un retard de 14'47'' sur la ligne. Au départ de l'étape, UAE jouait avec une paire d'as dans les mains, Del Toro en rose et Ayuso 3e à 1'26'', et elle ne compte ce matin plus qu'un as, dont la valeur ne tient qu'à un fil. Simon Yates (Visma-Lease a bike) et Richard Carapaz (EF Education EasyPost) sont à 26 et 31 secondes. En surnombre et sûre de sa force, l'équipe du leader est presque dans les cordes. « À la fin, on a toujours le maillot, on y croit toujours, on n'est pas à terre. On n'est pas en dehors du jeu », tentait de minimiser Baldato.
À pratiquement 8 km de l'arrivée, Del Toro était pourtant seul, Adam Yates puis Rafal Majka ayant lâché prise. Ayuso, lui, avait disparu des radars depuis longtemps. Et mardi soir, beaucoup craignaient qu'il ne soit pas d'une grande aide pour le Mexicain dans les trois dernières étapes de montagne...
Del Toro, premières faiblesses
La pépite de 21 ans avait tellement montré de force et de maîtrise que son premier coup de moins bien a surpris. Del Toro a été lâché par une attaque puissante de Carapaz à moins de 7 km de l'arrivée et il n'a jamais été en mesure d'aller le chercher. Il a même fini par être lâché, aussi, par Simon Yates, son dauphin au général. « Beaucoup disent que non, mais j'aime à penser que oui, avait-il répondu lundi lorsqu'il avait été interrogé sur sa capacité à résister en troisième semaine en haute montagne. J'ai cette ignorance de croire que je suis au niveau des meilleurs. » Vingt-quatre heures plus tard, il analysait ainsi sa première faiblesse : « Je n'avais pas les meilleures jambes, mais ce n'est pas une excuse. J'ai fait le maximum avec l'énergie qu'il me restait. J'ai beaucoup souffert. Je suis heureux parce que j'ai franchi la ligne sans un gramme d'énergie restant. Je voulais montrer que j'avais donné 100 % pour garder le maillot. J'espère avoir de meilleures jambes demain (mercredi). » Alors qu'il pouvait compter sur Ayuso pour partager le poids des responsabilités jusque-là, le Mexicain va devoir se débrouiller seul. Et tout assumer. La réponse de Del Toro, dès mercredi, et sa capacité à assumer le poids de la course seront déterminantes pour garder le maillot rose jusqu'à dimanche.
Carapaz suit son plan
En octobre, l'Équatorien et son encadrement ont balisé la route jusqu'au Giro et jusqu'à Rome. Carapaz est arrivé en forme, a gagné une étape à la pédale (la 11e), avant de grignoter un peu de temps au fur et à mesure et de signer un coup d'éclat mardi vers San Valentino (4e). Le voilà troisième du général avec la pancarte d'adversaire numéro 1 de Del Toro. Mardi matin, il avait pourtant chuté en compagnie de Primoz Roglic et affiché quelques rictus de douleurs dans certains forts pourcentages ensuite. « C'était une étape difficile mais clé dans ce Giro. Il y a eu cette chute et ça a renforcé ma motivation. Je suis ici pour me battre et je dois continuer comme ça jusqu'à Rome », avouait le grimpeur d'EF Education EasyPost en passant la ligne. « Le matin, au briefing, on s'était dit qu'il fallait attendre les 7-8 derniers km pour tenter quelque chose, avant cela il fallait laisser les autres équipes travailler. On a essayé de rester cools, calmes, en le voyant partir, mais c'était incroyable de le voir comme ça », confiait Juan Manuel Garate, l'un des directeurs sportifs d'EF. Quand le Jaguar de Tulcan sort les griffes, il arrache tout. Del Toro n'a qu'à bien se tenir.