Le Giro, coup de foudre tardif
Romain Bardet n'a longtemps eu d'yeux que pour le Tour de France, et cette histoire d'amour l'a longtemps écarté des épreuves espagnole et italienne. D'où le choix, parce que l'obsession de la Grande Boucle devenait presque un regret, de clore sa relation avec les épopées de trois semaines par le Giro, « une course qui m'attire parce que j'ai le sentiment de ne pas avoir fait le tour de la question avec elle », avouait-il à L'Equipe début mai.
De son passage chez les pros (2012), jusqu'à l'aube de ses 30 ans (2020), soit une éternité, Bardet ne veut pas entendre parler de la Corsa Rosa. Cinq ans plus tard, il y a mis quatre fois les pieds, fana des tifosi et hautes altitudes. Pour sa dernière participation cette année, le grimpeur de 34 ans aura tout essayé, au panache comme lorsqu'il était rookie, pour cocher un troisième bouquet sur les trois Grands Tours (4 sur le Tour, 1 sur la Vuelta). Quatre fois à l'attaque, il n'est pas passé loin sur la 17e étape, deuxième derrière un gourmand Isaac Del Toro. Ça valait bien un dernier coup de projecteur, mais qui laisse, une fois éteint, un goût amer.
« J'ai besoin de ces boosts où j'y vais à 100 % »
Romain Bardet
Comme en 2021, pour son premier Tour d'Italie, lorsqu'il termine 7e et sans victoire. Et que dire du cru 2022. Quatrième du général après la première moitié de course, le coureur de Brioude, charpenté après son succès sur le Tour des Alpes, abandonne de mauvaise grâce pendant la 13e étape, tordu de douleurs au ventre.
Qu'à cela ne tienne, Romain Bardet est de retour l'année suivante, mais derrière l'ogre Tadej Pogacar qui cannibalise tout, il cochera, au mieux, une 4e place sur l'étape reine. Avec néanmoins la satisfaction, de plus en plus forte avec l'âge, d'avoir tout entrepris. « Ne rien faire du Giro, attendre que les autres craquent avant soi... Non, j'ai besoin de ces boosts où j'y vais à 100 % », assurait-il au printemps dernier.
Le Tour de France, pour le meilleur et pour le pire
De ses années Tour de France, dont il avait fait une obsession, on pourrait en raconter des pelletées, sur ses joies, ses craintes, ses ras-le-bol. Sans doute faut-il d'abord ressortir le dernier (le plus beau ?) frisson, le maillot jaune, conquis l'an passé lors de la journée d'ouverture de son onzième et dernier Tour, à Rimini (Italie), avec l'aide aussi précieuse que touchante de son coéquipier néerlandais Frank Van Den Broek. « J'ai eu la chance d'être gâté par le Tour, glissait-il dans nos colonnes à l'époque. Je ne voulais pas que cette histoire se termine en eau de boudin. »

Car cette histoire, elle devait s'achever aussi bien qu'elle avait commencé. Un peu contre le cours des carrières habituelles, où l'on préfère que les néophytes s'acclimatent à l'exigence des Grands Tours sur le Giro ou la Vuelta, Romain Bardet découvre le Tour de France au préambule de sa carrière (22 ans). La trajectoire des premières années n'en reste pas moins ascendante. Bizut plein de niaque en 2013 - 15e et meilleur Français -, il prend du galon dès l'année suivante avec un objectif de podium (finalement 6e), en co-leadership avec Jean-Christophe Péraud. Hors du coup au général en 2015, il provoque le destin en s'offrant sa première victoire d'étape sur un Grand Tour à Saint-Jean-de-Maurienne, et finit super-combatif de l'épreuve.
« J'ai fini tellement de Grands Tours dans le top 10 éreinté et sans grande satisfaction »
Romain Bardet
Le cyclisme français traverse un petit âge d'or, et ça tombe bien, Romain Bardet a soif de progrès. Il devient un vrai leader. Sur la 19e étape du Tour de France 2016, il file entre les gouttes et les chutes, « à l'instinct », pour gagner en solitaire à Saint-Gervais Mont Blanc, et s'installe définitivement au deuxième rang du général. C'est plus ric-rac l'été suivant : l'Auvergnat sauve sa 3e place sur le contre-la-montre la veille des Champs-Élysées pour une seconde devant Mikel Landa, après s'être battu comme un mort de faim pour le podium, glanant au passage un succès à Peyragudes.

Clap de fin des années fastes, place aux tops 10 (2018, 2022) et aux galères : en 2020 et 2023, Romain Bardet est victime de commotions cérébrales qui le contraignent à poser pied à terre. Ces insuccès abîment son enthousiasme. En quête d'un second souffle, il changera d'air avec d'autres visées. « Je suis arrivé à une époque où on attendait que les Français performent au général. Mais je l'ai trop fait : j'ai fini tellement de Grands Tours dans le top 10 éreinté et sans grande satisfaction... »
La Vuelta, le petit truc en plus
Après son podium sur le Tour, en 2017, Romain Bardet veut redonner du peps à sa fin de saison estivale. Parce qu'avant le Tour de Lombardie, à l'automne, aucune course ne le maintient compétitif. Il s'offre donc un rab de Grand Tour, en enchaînant, pour la première fois de sa carrière, Grande Boucle et Vuelta, d'où il ressort crevé, avec quelques tops 10 d'étapes et un classement final décevant (17e).
En 2021, Bardet n'a pas de Tour de France dans les pattes. Il retente le coup. Avec enfin le feu vert pour la chasse aux étapes, le tout frais pensionnaire du Team DSM veut débrancher le cerveau, oser l'exploit, faire d'un coup grimper le palpitant et lever les bras. Histoire, aussi, de casser une routine dans laquelle il s'était cloîtré chez AG2R-La Mondiale pendant dix ans. Mission accomplie : Bardet s'impose sur la 14e étape, bonheur qu'il n'avait plus humé depuis trois ans (Classic Sud Ardèche 2018).

« L'attente a été longue mais je n'y ai pas pensé, je me suis juste engagé à fond, lâchait-il à l'arrivée. Je vis une très, très belle année. » Dernière escapade espagnole en 2023, toujours dans l'optique d'allumer des mèches, ce qu'il fait ; mais sans bouquet cette fois.