L'amour dure peut-être sept ans, mais c'est aussi le temps qu'il faut à l'homme pour entamer un processus de réconciliation, expier ses péchés, ses inachèvements et ses mauvais souvenirs. C'est en tout cas l'intervalle qu'il a fallu à Simon Yates pour se rabibocher avec le Giro, ses tourments et surtout son col du Finestre. En 2018, alors qu'il était leader de la course au soir de la 18e étape, il avait pris de plein fouet la cavalcade christique de Christopher Froome à 80 kilomètres de l'arrivée, encaissé un retard de 35'42'' sur la ligne et abandonné tout espoir de remporter le Giro.
Samedi, c'est sur les mêmes pentes, les mêmes routes étroites, les mêmes graviers et chemins de terre, qu'il a renversé l'édition 2025, comme un grand, comme un homme qui vient laver un affront. Le voilà ce matin avec 3'56'' d'avance sur Isaac Del Toro au général. Ces derniers jours, il était sur le podium, mais semblait loin de la force du jeune Mexicain d'UAE Emirates ou de Richard Carapaz. Le Britannique de 32 ans avait fait rouler deux fois de suite l'intégralité de son équipe pour finalement ne jamais attaquer, et reculer au général. Sa performance samedi, dans la fureur du Finestre, dans un long effort solitaire face à la souffrance et à la perspective de la gloire, est celle d'un champion qu'on avait enterré un peu trop vite.
Van Aert a été d'un soutien précieux pour Simon Yates
« J'y pensais déjà quand la course a été annoncée, c'était un lieu spécial, fait pour le spectacle, j'avais dans un coin de ma tête l'idée d'y retourner et peut-être de refermer ce chapitre. Pas forcément pour gagner la course, mais juste essayer et me montrer », confiait le leader de Visma-Lease a bike après son exploit, qui lui a fait couler beaucoup de larmes : « Je ne peux pas décrire mon émotion, j'attends ce moment depuis plusieurs années. C'est difficile de parler. »
Maillot jaune et noir, casque noir et jaune, chaussettes blanches, lunettes à reflet bleu : il n'y avait pas eu une once de rose chez lui pendant trois semaines sur les routes d'Albanie à Sestrières. C'est au meilleur moment que le vainqueur de la Vuelta 2018, qu'il était allé chercher revanchard quelque mois après le fameux Giro, a enfilé la maglia rosa. La veille de l'arrivée à Rome. Un renversement grandiose et une partition jouée à la perfection. « C'est incroyable. On ne pensait pas vraiment à ça ce (samedi) matin. Simon a fait un effort si courageux, en partant de si loin. J'aime quand les gens donnent tout pour gagner et pas pour les places d'honneur, donc chapeau à lui », saluait son coéquipier Wout Van Aert.
Le Belge a été d'un soutien précieux dans la descente du Finestre et dans la transition qui suivait. Les deux coureurs de Visma-Lease a bike ont mis un énorme coup au moral de Del Toro et Carapaz. L'affaire a vite été pliée. Quand il a passé la ligne, Simon Yates n'a montré aucun signe d'exultation ou de rage de vaincre. C'est seulement en rejoignant les membres de son équipe qu'il s'est mis à pleurer, à se prendre sa tête entre les mains, à expulser un torrent de sentiments. « En arrivant, je ne pouvais tout simplement pas y croire. Je suppose que ça va commencer à venir. J'ai travaillé très dur pendant de nombreuses années. C'est un conte de fées maintenant », reconnaît le frère jumeau d'Adam, dont l'équipe UAE a perdu le Giro par la même occasion. J'avais l'air relax au départ, mais j'avais des doutes et les gars m'ont encouragé, ils ont cru en moi, donc merci à eux. C'est incroyable. J'essaie de chercher mes mots, mais je ne les trouve pas. »
« La performance, c'est celle de Simon Yates, ce n'est pas une contre-performance des autres »
Mauro Gianetti, le patron des UAE Emirates d'Isaac Del Toro
« Il faut tirer son chapeau quand un coureur fait une course comme ça ou quand une équipe joue bien le coup comme ça, reconnaît Mauro Gianetti, le patron suisse d'UAE Emirates. Simon a eu le courage de renverser le Giro, les jambes et la tête pour aller jusqu'au bout. Il a fait une course exceptionnelle. L'écart qu'il a fait dans le Finestre, c'était une question de jambes. La performance, c'est celle de Yates, ce n'est pas une contre-performance des autres. »
« Nous espérions secrètement ce scénario, mais nous ne nous attendions pas à ce qu'il se déroule aussi parfaitement. Simon a attaqué exactement au bon moment, analyse Marc Reef, le directeur sportif de Visma-Lease a bike. Le plan que nous avons élaboré a été exécuté dans les moindres détails. C'est un résultat fantastique. »
Vendredi soir, alors qu'il avait perdu encore des secondes précieuses dans sa lutte avec Del Toro et Carapaz, Simon Yates avait avoué : « Demain, le col est plus long, mais il y a une partie gravel au milieu, et ce n'est pas ce que je préfère. Les jambes étaient bonnes aujourd'hui, j'espère que ce sera pareil demain et que je pourrais tenter quelque chose... » « Il semble être en bonne forme, mais il n'est peut-être pas aussi explosif que les deux qui le précèdent. Simon est bon dans les longues ascensions. Peut-être que cette journée lui convient mieux », avait aussi prédit son frère Adam sur la chaîne belge Sporza.
Distancé lors de la première attaque de Carapaz au pied du Finestre, Simon Yates est revenu sans s'affoler, avant de placer trois banderilles et de s'envoler. Longtemps, les deux hommes qui le devançaient au général pensaient le tenir en respect à quelques dizaines de mètres. Yates était déjà en route vers son destin. Laver un vieil affront, avant de rentrer dans l'histoire du Giro.