La pluie tombe sur les capuches et les parapluies agglutinés devant le Centre Bell. Des centaines de fans mouillés désespèrent de rentrer et, exprès ou pas, un petit malin lance sur son téléphone la chanson « Gimme Shelter » (Donne-moi un abri) des Rolling Stones. La sécurité attendra encore un peu avant de céder à l'appel de Mick Jagger et d'ouvrir les portes de la salle NHL de Montréal, terre d'accueil de l'UFC 315 cette semaine.
Vendredi après-midi, le public est venu voir la pesée, et un petit peu plus. Georges St-Pierre, idole locale absolue, participait juste avant à une séance de questions-réponses en compagnie d'autres grands noms du MMA. Les questions du public, en français ou en anglais, étaient surtout destinées à St-Pierre. Le retraité de 43 ans a répondu avec la bonhommie qui a fait de lui - en plus de son style - l'une des premières superstars de l'UFC à la fin des années 2000.
« C'est une personnalité exemplaire, pas juste un athlète », loue Aidan, un fier compatriote. « À part en hockey, c'est difficile de désigner un Canadien qui pourrait être le meilleur dans son sport et Georges a sa place dans cette conversation pour le MMA. Je crois que c'est difficile pour quelqu'un qui ne l'a pas vécu de se rendre compte d'à quel point il a compté. C'était Conor McGregor avant Conor McGregor. Il a élevé le sport à un autre niveau. ».
L'ancien champion des mi-moyens et des moyens confirme que les choses ont changé. « Quand je suis venu combattre ici la première fois en 2008, c'était dans les débuts du sport (le MMA) au Canada. Il était déjà accepté aux États-Unis mais pas vraiment par la majorité des médias ici », raconte St-Pierre lors d'un bref échange backstage. « Après mon combat contre Matt Serra, dans le journal, il y avait un article avec moi en première page. Il décrivait ''les Barbares'' qui ont battu le record d'assistance des Canadiens de Montréal. »
« Pouvoir me battre dans la même salle que lui, pouvoir ressentir la même énergie, ça me motive à offrir tout un spectacle aux spectateurs »
Belal Muhammad, au sujet de St-Pierre
Entre 2008 et 2013, l'UFC fait escale six fois dans la plus grande ville du Québec. Le Canada a accueilli une trentaine de soirées. Montréal organise ce samedi sa huitième, plus que n'importe laquelle des dix autres villes hôte canadiennes. Mais rien depuis l'UFC 186 et le duel entre Demetrious Johnson et Kyoji Horiguchi. C'était le 25 avril 2015. Plus au Sud, Barack Obama était encore président.
Pour ce retour dix ans plus tard, St-Pierre, rangé des voitures depuis 2019, est incontournable. L'or d'une de ses ceintures a été incrusté sur des cannettes de bière UFC vendues en édition limitée. Il a une connexion directe avec Manon Fiorot via l'entraîneur Kristof Midoux, souvent présenté comme son mentor. Et Belal Muhammad, dans le main event de la soirée, voit le Centre Bell comme un lieu de pèlerinage : « C'est symbolique. St-Pierre est le plus grand champion de l'histoire des poids mi-moyens. Pouvoir me battre dans la même salle que lui, pouvoir ressentir la même énergie, ça me motive à offrir tout un spectacle aux spectateurs ».
L'UFC a aussi préparé pour l'occasion des maillots de hockey floqués 315 et convié cinq combattants canadiens, pour le plus grand plaisir des « partisans » ou des « amateurs » comme disent les Québécois. « Tu ne les as pas entendus à la conférence de presse ? », demande Aiemann Zahabi, qui aura dans son coin Georges St-Pierre. « Ils m'ont donné le olé olé quand j'ai fait le face-à-face avec José Aldo. J'ai adoré ça ! C'était ma première fois en conférence de presse et j'ai senti le soutien de Montréal. Aldo a manqué le poids ce matin (vendredi) mais j'ai pris le combat quand même parce que c'est à Montréal. C'est ma ville à moi, c'est ma maison et je vais la défendre ».
La géopolitique au coeur de la soirée
Pendant la séance de questions-réponses, St-Pierre a raconté l'histoire d'un de ses combats au Centre Bell quand le public hurlait tellement fort qu'il n'entendait rien de ce que l'annonceur Bruce Buffer, la voix qui porte pourtant, hurlait à côté de lui. À Montréal, les « partisans » font du bruit. « Je crois que ça vient d'un amour profond pour le sport et le hockey, en particulier les Canadiens de Montréal », tente Austin, fan anglophone croisé après la pesée. « En playoffs NHL cette année, c'était la salle la plus bruyante de ma vie. Ce sera bruyant encore demain (ce samedi soir) », ajoute-t-il, surpris par la longue absence de l'UFC dans la ville.
Et le contexte géopolitique devrait donner encore plus de saveur à la soirée. « Fu.. you puss... » a crié le poids welter Charles Radtke à la foule qui le huait. Arrivé à la pesée enroulé dans le drapeau américain et reparti avec le majeur tendu, l'Américain, petit-fils d'un marine, n'a pas aimé que le public canadien siffle l'hymne américain ces derniers mois en réaction aux propos de Donald Trump sur un 51e État. « Quelqu'un va devoir payer », prévient-il. En face, ce sera justement un Canadien, Mike Malott.
Joe Rogan, commentateur star de l'UFC, fera l'impasse sur Montréal, pour des raisons a priori politiques. « Je ne vais plus au Canada », a-t-il annoncé dans son podcast, très suivi. « Je préfère encore aller en Russie. » Georges St-Pierre lui sera bien là. Pour Montréal, c'est le plus important.