
L'APPROCHE DU MATCH
« 20 % de chances de gagner »
« Dès janvier, on a pris le parti de jouer la Coupe de France à fond. On a eu un parcours difficile : Brest, qu'on bat aux « penalties » (2-2, 5 tab à 4., en 32es), Lille, qui a fini deuxième de L1 (2-1, en 8es), Lyon, troisième (3-2, en demies)... Donc, même si c'était plus compliqué en Championnat (10 es), on arrive en finale avec des références, en plus d'avoir éliminé le Betis (3-3, 3-1) et battu Arsenal (3-1 ; 0-3 au retour) en Ligue Europa. On connaît notre faculté à créer l'exploit.

Les semaines avant le match, sur un tout misé sur la préparation mentale. À part Romain (Danzé), très peu avaient connu les finales perdues de 2009, 2013 et 2014 (deux fois face à Guingamp en Coupe de France et Saint-Étienne en Coupe de la Ligue). La différence, c'est que, cette fois, on était outsiders. On avait 20 % de chances de gagner, il fallait les jouer à fond.
Paris est une très, très grosse équipe, avec quelques failles qu'on devait utiliser. Avant le match, on leur a passé un film retraçant les six mois passés ensemble, avec des actions positives de chacun. On a également diffusé des images des joueurs du PSG après leur désillusion contre Manchester United (élimination en 8es). On voulait montrer les doutes sur leurs visages, appuyer sur le fait qu'ils avaient encore ça en tête et que nous aussi, on pouvait générer ça. »
LE PLAN DE JEU
« J'ai demandé des conseils à Lacombe et Deschamps »
« Six mois plus tôt, j'entraînais en réserve devant 50 personnes. Comme je n'avais jamais vécu de finale, j'ai demandé des conseils à d'autres entraîneurs : Guy Lacombe, Didier Deschamps... Ça m'a aidé. Chaque jour, on travaillait un aspect stratégique, dont les coups de pied arrêtés, qui représentent en moyenne un tiers des buts. De plus, sans Thiago Silva, il leur manquait un atout clé. Avec le staff, on a très rapidement eu le onze type en tête : un 4-4-2, avec Hatem (Ben Arfa) très proche de M'Baye (Niang).

L'équipe était organisée autour d'Hatem, un joueur différent qui fait reculer les adversaires, ce qui crée des espaces. Son impact psychologique est essentiel dans ces matches-là. Le PSG jouait en 3-4-3 avec un jeu de position très marqué, des mouvements qui se répètent, un fort contre-pressing... Tuchel, c'est un top entraîneur au niveau mondial, mais on n'avait pas trop de surprises sur leur schéma.
Leur faiblesse ? À chaque coup du sort défavorable, ils laissaient à l'adversaire l'opportunité de créer du danger. Défensivement, ce qu'on cherchait à faire, c'était contrôler l'intérieur du jeu, où ils avaient quatre joueurs : Verratti et Draxler en rampe de lancement, en plus de Neymar et Di Maria. On ne voulait pas qu'ils puissent se retourner et prendre de la vitesse. En raison de cette densité dans l'axe, on se doutait qu'il y aurait des coups à jouer dans le dos des latéraux, notamment en contre. »
LA PREMIERE PERIODE
« A 2-0, beaucoup de gens considéraient le match terminé »
« Paris a attaqué très fort et a vite mené au score sur coup de pied arrêté. Parfois, même si tu as travaillé quelque chose, le talent adverse est tellement fort que ton organisation défensive n'y peut rien. Le second but est plus difficile à digérer. Je pense que la très grande majorité des gens considérait qu'à 2-0 au bout de vingt minutes, le match était terminé.

Ce n'était pas l'entame rêvée, mais, à l'intérieur de nous, on y croyait encore. On devait d'abord stopper l'hémorragie. Pour moi, le premier tournant a eu lieu vers la 30e minute, lorsque Ramy Bensebaini a une échauffourée avec Kylian (Mbappé). Ça peut paraître anecdotique, mais c'est révélateur d'une envie de ne pas abdiquer. On est dans la rébellion. La croyance n'a jamais été aussi forte qu'après cet épisode. Le rapport de force s'est rééquilibré.

Peut-être qu'eux en ont fait un peu moins, mais nous, on en a fait plus, et surtout, on a fait mieux. Juste après, M'Baye enroule sa frappe sur le poteau. Puis, sur une transition, un centre d'Hamari (Traoré), avec un peu de réussite, finit en contre-son-camp de Kimpembe. En marquant juste avant la mi-temps, tous les espoirs étaient permis. »
LA MI-TEMPS
« Leurs démons ressurgIssaient »
« On est rentrés au vestiaire avec beaucoup de force. On est restés cinq minutes sans parler, on a laissé les joueurs récupérer. Pendant ce temps-là, avec le staff, on a regroupé les idées fortes qu'on voulait faire passer, on a réfléchi comment bien les tourner. Comme on a marqué à la 40e, je n'ai eu le temps de rien préparer. Je leur ai donné des conseils très simples. Et, surtout, j'ai alimenté la croyance à l'aide de mots forts et sincères.
Ce qu'on avait espéré et préparé toute la semaine se réalisait : leurs démons passés, qui n'étaient pas si lointains, ressurgissaient. Je devais appuyer à fond là-dessus. Dans une causerie comme ça, il y a une vraie part d'instinct, on sort ce qu'on a au fond de ses tripes. J'étais habité par quelque chose. On l'était tous un peu, car le scénario du match avait fait naître en nous un espoir : mettre fin à une disette de quarante-huit ans sans titre et écrire un chapitre de l'histoire du club."
LA SECONDE PERIODE
« Une forme d'instinct me disait de ne rien toucher »
« On fait une très bonne entame, on s'est complètement libérés. Pendant vingt, vingt-cinq minutes, on fait mieux que jeu égal. On contrôle mieux la balle, on a plus de maîtrise, de possibilités...

L'égalisation de Mexer à la 66e est logique. Ce but a décuplé nos émotions, on se disait que c'était peut-être notre jour. Un nouveau match démarrait. On s'attendait à une réaction de leur part, en espérant poursuivre notre bonne dynamique.

Mais, de mémoire, il n'y a plus énormément de situations. Pour autant, je n'ai fait aucun changement. Déjà, car c'est délicat d'entrer dans une finale d'une telle intensité et je n'ai pas noté de baisse physique chez mes joueurs. Ils faisaient un gros match et méritaient de continuer tous ensemble. Et une forme d'instinct me disait de ne rien toucher. »
LA PROLONGATION
« "Bourige" a eu l'honnêteté de venir me voir »
« Le jeu s'est haché, on a pris des cartons. Ça symbolisait l'acharnement du groupe, qui avait conscience de tenir quelque chose d'exceptionnel et qui ne voulait surtout pas le relâcher. Comme un lion venant de chasser une proie, menacé par des hyènes voulant la lui prendre. On tient le score. Kylian (Mbappé) a touché le poteau. Dans ces matches-là, il faut le facteur réussite. Mais il se provoque, les gars l'avaient mérité ce jour-là.

Le seul que j'ai sorti, c'est (Benjamin) Bourigeaud. À la mi-temps de la prolongation, "Bourige" m'a dit : "Coach, j'ai un jaune. Je sens qu'à la prochaine faute, je prends rouge." Même si c'est une finale, il a la maturité, l'honnêteté et l'intelligence de venir me le dire. Ça dit beaucoup de l'état d'esprit des mecs.
D'ailleurs, ce sont eux qui ont le mieux tenu leurs nerfs : ils ont fini à onze. Le rouge de Mbappé (une semelle sur Da Silva) montrait que Paris n'était pas si serein et traduisait une certaine frustration, peut-être parce qu'au bout de vingt minutes, ils se voyaient déjà la coupe entre les mains."
LES TIRS AU BUT
« Dans leur démarche, on voyait déjà des signaux »
« C'était notre troisième séance de la saison (gagnée face à Brest en Coupe de France, perdue contre Monaco en Coupe de la Ligue, 7-8). Les "penalties", on les prépare systématiquement avant chaque match de Coupe. Le jour J, la seule chose qu'on fait, c'est placer les meilleurs tireurs au début de la série. Ensuite, on vient se faire confirmer par chacun d'entre eux qu'il n'y a aucun souci et qu'ils sont OK pour y aller. Il n'y a eu aucun désistement.

On s'est dit : "On ne peut pas arriver jusque-là et perdre, c'est impossible. C'est notre moment, c'est notre jour, c'est pour nous." Dans leur démarche jusqu'au point de penalty, on voyait déjà des signaux à travers le visage, leur mécanique... Je sentais beaucoup de sérénité et de détermination.
Tout le monde marque, jusqu'à Christopher Nkunku, qui venait d'entrer et qui n'a pas cadré. On gagne là-dessus. On ressent un sentiment de libération. La mission est réussie, on l'a fait. Le plus beau moment de ma carrière. »

L'IMAGE QUI RESTE
"Les visages déformés par le bonheur »
« Tomas (Koubek) a fait une chevauchée de cent mètres pour rejoindre notre public, qui était à l'opposé. On s'est tous retrouvés devant les supporters rennais. Là, le temps ne nous appartenait plus. Leurs visages m'ont profondément marqué. Ils me reviennent parfois en mémoire, comme des flashes.

Des personnes de tous les âges, des hommes, des femmes... Presque tous avaient les larmes aux yeux, le visage déformé par le bonheur, par une fierté extrême. Cette victoire représentait énormément, après les déceptions passées. On a réussi à retirer l'étiquette de loser qui collait au club.

J'ai eu un échange très puissant avec le propriétaire M. Pinault, qui m'a dit connaître une émotion comme il en a rarement vécu. Le retour au vestiaire s'est fait dans l'extase totale. Certains chantaient, dansaient, d'autres buvaient... Dans l'euphorie, le team manager a sauté dans la piscine du Stade de France et s'est ouvert le tibia. (Rires.) Il s'est fait recoudre sur la table du vestiaire.
Après, nous aussi, on a été jetés à l'eau par les joueurs ! Ensuite, on devait retourner à Rennes. On s'est réunis avec une partie du staff et des gars pour poursuivre la soirée. Enfin, la nuit. On a fini très, très tard. Avec les festivités prévues le lendemain dans la ville, on n'a quasiment pas dormi. Ce week-end restera dans la tête et les coeurs du groupe à jamais. »
Les trois joueurs absents côté PSG ? Thiago Silva, ça, c'est sûr. Peut-être Meunier ? Et Kurzawa ? (Faux. Thiago Silva et Thomas Meunier oui, mais le troisième était Thilo Kehrer.) 1/2
Qui a arbitré ce match ? C'était Ruddy Buquet. Il avait très bien arbitré, il a bien tenu son match et a mis les cartons qu'il devait mettre. (Vrai. Noté 8/10 dans L'Équipe.) 2/3
Qui perd la balle sur le second but parisien ? C'est un renversement d'Hatem (Ben Arfa), qui est intercepté. Mais pour moi, à ce moment-là, on avait encore moyen de la rattraper. (Vrai.) 3/4
Combien de cartons jaunes ont été distribués côté Rennes ? Il y a une dizaine sur ce match, dont six ou sept pour nous. (Vrai. 7.) 4/5
Quel a été le pourcentage de possession de votre équipe ? On n'a pas eu beaucoup le ballon... (Il sourit.) À peu près 35 %. (Vrai. 34 % exactement.) 5/6
Qui était le premier tireur rennais lors de la séance de tirs au mais ? M'Baye (Niang) ou Hatem. Allez, M'Baye. (Vrai.) 6/7
En quelles années Rennes a gagné ses deux autres Coupes de France ? Facile. Ce sont les minutes de nos deux buts face à Orléans (L2, 2-0), en quarts : 65 et 71. À la fin de ce match, des historiques du club m'ont dit : "C'est un signe, la coupe est pour nous cette année !" » (Vrai. 1965 et 1971.) 7/8