Justine se lovera encore un peu plus fort contre son père dans les gradins du stade Geoffroy-Guichard, samedi soir. Habitante de Limoges, cette fille unique a pourtant l'habitude d'effectuer en famille les huit heures de pèlerinage aller-retour jusqu'à Saint-Étienne. Sous le regard bienveillant de Delphine, sa mère, Jean-Michel Jardy lui a transmis sa passion pour les Verts dès l'âge de quatre ans. Mais ce samedi n'est pas pour elle un jour ordinaire.
Justine fête ses 18 ans. Le match ayant été annoncé à guichets fermés pour la cinquième fois de la saison dès mardi, Justine sait que son père ne s'est pas économisé pour lui faire plaisir en dégotant trois des 38 000 précieux billets. « La victoire à Reims samedi dernier (2-0) a déclenché une nouvelle ferveur, souffle ce grossiste alimentaire de 56 ans. Beaucoup d'habitués n'ont pas trouvé de places. »
Les tables ont dès lors été dépliées en moins grand nombre au stade Henri-Lux, situé à côté du Chaudron, pour la grande kermesse des Associés Supporters de l'AS Saint-Étienne. « Au lieu des 400 à 450 repas habituels, on n'en servira que 130, regrette "Mamie" Nicole, bénévole de la plus ancienne association de supporters en France. Mais on ne se plaint pas. Avant Reims, on craignait que ce dernier match de Ligue 1 à la maison ne compte pour rien, où qu'il se joue à huis clos, à cause des incidents lors du derby (2-1, le 20 avril). » Comme ce fut le cas lors de la réception de Reims, l'année de la relégation (1-2, le 14 mai 2022).
Un match classé à risque 4
Alors que les deux kops se trouvent sous la menace d'une fermeture avec sursis, les dirigeants français de l'ASSE sont parvenus à éviter ce scénario catastrophe, devant la commission de discipline de la LFP. En guise de remerciements, ils ont eu droit à une nouvelle banderole injurieuse accrochée sur les murs d'un centre sportif Robert-Herbin de l'Étrat resté fermé au public durant toute la semaine. Les joueurs en sont sortis vendredi matin, pour aller s'entraîner sur la pelouse de Geoffroy-Guichard, toujours à huis clos, avant de partir se mettre au vert.
Si la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) a classé Saint-Étienne - Toulouse comme un match à risque 4, sur une échelle de cinq, et que des incidents ne sont jamais à exclure, le contexte s'annonce toutefois bien moins insurrectionnel qu'il y a trois ans.

« À la différence de ceux de Montpellier, par exemple, les supporters stéphanois ne se sont pas retournés contre leurs joueurs, car ils mouillent le maillot, explique Julien Jeanroch, qui a ouvert le restaurant Les Poteaux carrés sur la place Jean-Jaurès, le 1er octobre 2005. Tout le monde est inquiet, à moins d'un an du cinquantenaire de la finale de Glasgow (0-, 1 face au Bayern Munich, en Coupe des clubs champions européens). Ce sera sans doute la dernière fois que nous pourrons honorer les Verts de 76 et le coup de projecteur aurait un goût amer, en Ligue 2. C'est pour cela aussi, qu'on reste mobilisés, conscients qu'une nouvelle descente serait une pelletée supplémentaire qui enterrerait encore un peu plus Saint-Étienne, dont son centre-ville, déjà à l'agonie. »
« En Ligue 1, davantage de gens viennent de loin, alors qu'ils n'ont rien à voir avec Sainté, si ce n'est un héritage transmis de père en fils »
Dorian, abonné du kop sud
Autrefois prisé par les équipiers d'Ivan Curkovic, le célèbre restaurant le Bistrot de Paris a été vendu une seconde fois aux enchères, le 8 avril. Il a trouvé preneur pour 60 000€ seulement.
Le club est le poumon de la ville
Si elle s'est en partie reconvertie en devenant la capitale française du design, l'attractivité de cette ville ouvrière et autrefois minière dépend dès lors encore grandement du tourisme footballistique. Abonné en kop sud et gérant de Trincamp, boutique de football dédiée au vintage et à la culture stéphanoise ouverte en novembre 2022, Dorian (35 ans) confirme : « En Ligue 1, davantage de gens viennent de loin, alors qu'ils n'ont rien à voir avec Sainté, si ce n'est un héritage transmis de père en fils. Contre Lyon, c'est hallucinant comme j'ai fait le tour de la France en restant dans la boutique ! Économiquement parlant, les Verts restent le poumon de la ville. » Julien Jeanroch ajoute : « Son baromètre, aussi. Le lendemain du derby, malgré la pluie, il faisait beau, dans nos têtes. Saint-Étienne mérite mieux que de jouer la montée et la descente. »

Nicole résume le sentiment général, avant cette soirée annoncée électrique : « Ce serait affreux de ne pas battre Toulouse et de descendre en ayant des regrets. » Jean-Michel Jardy, qui effectuera un crochet par Saint-Galmier avant le match pour inviter Justine à déjeuner à la brasserie bistronomique Le 1933, date de création de l'ASSE, refuse de vivre pareil scénario. « La différence de buts (- 37) nous met un coup sur la tête en nous empêchant de nous maintenir directement. Mais je reste convaincu que Le Havre ne va pas gagner à Strasbourg et que l'on va disputer les barrages. »
(Ré)animé par ce fol espoir, tout un peuple vert tentera donc de porter son équipe vers la victoire, samedi soir. Ce serait le plus beau des cadeaux offerts à Justine.
- Il fait match nul et Le Havre perd par au moins six buts d'écart.