Il faut les voir s'échauffer en rythme et en groupe - avec la précision du bras tendu à vide et du corps élégamment abaissé -, puis débouler sur le court comme dans un ballet synchronisé pour saisir qu'ils ne sont pas là pour jongler avec des balles au petit bonheur la chance.
Le ramasseur de balle, de 12 à 16 ans pour Roland-Garros, est devenu un athlète au service de ceux qui se serviront de son offrande - une balle jaune - pour garantir le spectacle. Pour que la filière automatisée du circuit de la balle du filet au fond de court, ou d'un bord à l'autre du court, se fasse sans anicroche jusque dans la main du serveur, puis dans sa poche, il ne faut négliger aucun détail.
Entre 2,7 et 3,4 km parcourus quotidiennement
Et comme ceux qui se battent pour gagner Roland, le ramasseur gère ses mois de préparation pour peaufiner sa coordination oeil main, la force et la mobilité du bas du corps, sa puissance et sa vitesse, ainsi que son expertise en sprints répétés et sa capacité aérobique. Réalisée en 2022, une étude a montré que les ramasseurs parcouraient quotidiennement entre 2,7 et 3,4 km et poussaient sur 200 accélérations, avec plus ou moins 900 mètres dans des rotations d'une durée moyenne de 41 minutes. Il faut du foncier et de la vivacité, de l'explosivité et de l'endurance, sachant que l'exercice s'étire sur les trois semaines de la compétition, ou presque.
Tous ramassent quotidiennement jusqu'au mercredi de la dernière semaine (y compris en Légendes, juniors ou handisports), avec le jeudi ou vendredi alternativement en jour de repos, avant que les deux dernières équipes des 18 sélectionnés pour les finales du samedi et dimanche assurent le bal jusqu'à son terme. Pour assurer cette préparation d'un genre commando sans les codes martiaux, la FFT s'est associée depuis 2021 à un organisme, Holistic Tennis, qui profite des stages de préparation pour la montée en puissance.

« Le ramasseur a besoin d'avoir des qualités similaires à celles d'un joueur de tennis »
Cédric Brandli, fondateur de Holistic Tennis
« Le ramasseur a besoin d'avoir des qualités similaires à celles d'un joueur de tennis, raconte Cédric Brandli, son fondateur. Lors des stages, on met en place une routine d'échauffement, de récup, avec des séances de préparation physique et mentale et des capsules éducatives sur la santé, le sommeil ou la gestion du stress, et plein de jeux et d'exercices sur la force, la vitesse, la coordination, les jonglages ou le travail d'équipe. Et lors des trois semaines précédant Roland, on met en place un entraînement en ligne avec un accès à une application pour une séance quotidienne à la maison, entre quinze et trente minutes par jour, qui reprend les bases du travail en stage. Séances de renforcement, de sprint, de coordination, de jonglage avec balles et raquettes, de manipulation de balle. Et des choses pédagogiques avec des documentaires en anglais, des capsules sur les médias et réseaux sociaux. On profite aussi de ce programme-là pour leur transmettre des petites choses. »
Comme tout bon athlète de nos jours, le ramasseur a donc droit lui aussi à sa préparation mentale, censée lui permettre d'aborder l'événement avec toutes les clefs. « Pour beaucoup de ceux qui s'inscrivent, être ramasseur de balle à Roland est un rêve d'enfant, et ce n'est pas si simple de gérer le processus de sélection où l'on passe de 6 000 à 400 dans des stages où on est notés, ajoute Cédric Brandli. Dans ces stages, on fait des interventions d'une heure et demie sur la définition du stress. Comment y est-on exposé ? Quelles sont les solutions ? Comment font les pros ? »
La santé mentale encore au second plan
Quand la compétition commence, le stress peut redoubler pour des jeunes gens lancés dans le grand bain des grands stades sous des milliers de paires d'yeux, tandis qu'il faut « ramasser » parfois son idole sans extase ni tremblement. « On applique avec eux les techniques classiques comme la respiration, la visualisation ou la méditation, poursuit Cédric Brandli. Il faut savoir gérer les rotations plus ou moins réussies, les petites erreurs sur le terrain, et être capable avec le débrief de repartir d'un bon pied. On dispose sur le site d'une salle de récupération avec des outils de massage et des petites boîtes de méditation sophrologique à utiliser pour se poser. L'an dernier, avant la finale femme, on avait organisé une courte méditation, avec une petite séance de respiration de deux-trois minutes avant de rentrer sur le terrain, pour faire face à la pression d'un gros événement. »

Mais tout comme les blessures physiques restent rares avec les bénéfices de la prévention et de la préparation, la santé mentale des ramasseurs ne figure pas dans la top liste des soucis. « En 2023, il y avait eu quand même l'histoire de la paire Miyu Kato-Aldila Sutjiadi disqualifiée après qu'une des deux Japonaises avait touché une ramasseuse de balle au niveau de la tête, se souvient Brandli. Cette dernière avait vécu une crise de panique après. Elle pleurait, en stress pendant deux heures, avant de venir faire une petite séance de relaxation pour repartir de bon pied. La fin de journée avait été compliquée mais les jours suivants s'étaient très bien passé... »