Après la bataille électorale de décembre 2024, le front s'est déplacé sur le terrain judiciaire, avec des procédures ouvertes au pénal et au civil. Selon nos informations, le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire après une plainte contre X déposée par des figures influentes du karaté français pour corruption, trafic d'influence, faux et usurpation de titres. Les investigations ont été confiées à la Brigade de répression de la corruption et de la fraude fiscale (BRCFF).
Les treize plaignants, qui occupent tous ou ont tous occupé des fonctions dans les organes dirigeants de la Fédération, dénoncent de « graves dysfonctionnements » lors de la campagne électorale et accusent Francis Didier (qui a terminé un sixième mandat d'affilée en 2024 et qui ne pouvait se représenter) d'avoir favorisé son candidat à sa succession, Bruno Verfaillie, au détriment de Gilles Cherdieu.
Ils affirment que Francis Didier a attribué arbitrairement des dan, sans réunion de la commission des grades (CSDGE), en échange d'un soutien à son candidat. Les plaignants s'alarment aussi que les électeurs ont reçu la propagande électorale du seul Bruno Verfaillie à leur domicile personnel, dont les adresses auraient été obtenues, selon eux, grâce aux données personnelles détenues par la Fédération. Les plaignants assurent également que l'activité de Bruno Verfaillie pendant la période électorale aurait été promue sur le site, le magazine et sur les réseaux sociaux de la Fédération, et lors d'événements organisés par elle.
La conciliation du CNOSF rejetée
Ces points ont été en partie repris dans une proposition de conciliation formulée par le CNOSF en mars 2025, révélée par L'Équipe, et qui suggérait l'organisation de nouvelles élections. L'institution, dans son avis, avait tancé un manquement au devoir de « stricte neutralité (...) de nature à affecter la sincérité des opérations électorales » et qui pourrait justifier, « à elle seule, l'annulation des élections par un juge ».
Mais dans une lettre ouverte datée du 25 mars, Bruno Verfaillie a balayé la proposition du CNOSF, vantant le « travail de fond » et la « dynamique » qu'il aurait insufflée à la FFKDA (Fédération française de karaté et disciplines associées) : « Il appartient à Monsieur Gilles Cherdieu de faire un choix : nous laisser avancer ou continuer à ternir l'image de notre Fédération ». Ce dernier a décidé de saisir la justice, par le biais de son avocat, Me Hugo Delage. Une audience civile doit se tenir le 10 septembre prochain devant le tribunal judiciaire de Nanterre.
Devant le CNOSF, la FFKDA avait pour sa part contesté la « prétendue déloyauté de la campagne électorale » et nié « l'utilisation illicite des organes fédéraux ». Contactée par L'Équipe, la Fédération confirme avoir reçu une assignation : « Nous sommes en train d'en analyser les implications sur l'ensemble des dossiers concernés. »
Je suis contraint de porter l'affaire devant les tribunaux. J'aurais préféré que Monsieur Verfaillie se conforme à l'avis du CNOSF, qui est quand même l'organe indépendant qui représente le sport français, et j'aurais aimé que Monsieur Verfaillie, qui était responsable de l'arbitrage, et qui avait donc l'habitude d'appliquer les règles, puisse suivre ce conseil qui, à mon avis, était plein de bon sens. C'est lui qui a décidé de ne pas donner suite et de ne pas organiser de nouvelles élections. Moi je suis là pour défendre les intérêts de nos licenciés et de notre discipline, et je pense sincèrement que si toute la vérité n'est pas exposée au public, notre Fédération continuera d'exister comme elle l'a fait jusqu'alors : dans l'opacité la plus totale et dans ce clanisme qui nous fait du mal.
Le tribunal judiciaire de Nanterre vous a autorisé à contester le résultat des élections lors d'une audience qui doit se tenir le 10 septembre prochain. Qu'en attendez-vous ?
J'ai saisi le tribunal pour que la proposition émise par le CNOSF, sur la base d'irrégularités dénoncées, soit appliquée. Il propose que la FFKDA organise une nouvelle assemblée générale élective du président de la Fédé "dans le respect des principes de neutralité et d'objectivité" et parle de "rupture d'égalité entre les candidats". Je le dis : je n'ai pas eu le même traitement que Monsieur Verfaillie lors de la campagne électorale et espère de nouvelles élections dans des conditions sereines. Le CNOSF écrit qu'un doute sérieux pèse sur la régularité de cette élection. Cette tache, insupportable pour notre Fédération et pour ses licenciés, ne doit pas rester indélébile.
Quels changements appelez-vous de vos voeux ?
En tant qu'ancien champion du monde et pour avoir porté les couleurs de la France dans tous les continents, ex-conseiller technique, DTN pendant près de 15 ans, en tant que licencié tout simplement, je suis plus que jamais motivé pour que la Fédération s'inscrive dans une logique de développement classique. Il faut encadrer les prochaines élections, et notamment à la très influente commission des grades. Aucune femme n'y est représentée, alors que 36 % de nos licenciés sont des femmes ! En plus de la parité, il y a aussi un problème de gouvernance : l'esprit de la loi de 2022, c'était de limiter le cumul des mandats. Or, Francis Didier, le président sortant, a été élu à la tête de la CSDGE, aux côtés de son poulain. Où est le changement ? La Fédération, ce n'est pas seulement le 39 rue Barbès (l'adresse de la Fédé, à Paris), c'est un ensemble de licenciés, de bénévoles, d'arbitres, de tous ceux qui concourent à nos disciplines, dans leur diversité de pratiques. Il faut partir à la recherche de nouveaux partenaires et en finir avec l'entre-soi. »