Voilà près de neuf mois que Wout Van Aert ne s'était pas imposé, il attendait depuis le 27 août dernier, sur la Vuelta, d'atteindre le cap symbolique de sa cinquantième victoire chez les pros. Ce dimanche, le Belge a dû batailler avec le jeune espoir mexicain de 21 ans Isaac Del Toro jusqu'à la célèbre Piazza del Campo de Sienne, lieu d'arrivée des Strade Bianche, mais surtout le théâtre du Palio, ces courses médiévales de chevaux deux fois par an.
Van Aert ne pouvait pas se permettre un nouvel échec, lui qui les a avalés un par un durant la campagne des classiques, où il a connu autant de déceptions que d'humiliations résumées par son sprint raté à Waregem lors d'À Travers la Flandre. Il était livré à lui-même dimanche, seul face à ses responsabilités, et c'est peut-être ce qui pouvait lui arriver de mieux. Il ne devait rien à personne, il n'avait qu'à jouer avec les nerfs du jeune Del Toro qui savait déjà que le maillot rose lui reviendrait (Diego Ulissi était relégué à plus de cinq minutes), mais qui voulait aussi sa première victoire d'étape sur le Giro.
« On avait décidé d'unir nos efforts », raconta le Mexicain, qui n'avait pas conscience sans doute à quel point il faisait mal à son aîné belge dans le final et que, avec un peu moins de naïveté, il aurait pu se débarrasser de lui bien avant l'arrivée.
« Après cette longue période de disette, c'était sans doute écrit que je devais gagner à nouveau ici »
Wout Van Aert
« Je sais qu'on me reproche parfois mon manque d'intelligence en course, souriait plus tard Wout Van Aert, mais aujourd'hui (dimanche) j'ai été astucieux, car c'était très difficile de rester dans sa roue (celle de Del Toro). À certains moments, je ne pouvais même plus prendre de longs relais. Mais je savais que je devais attendre les tout derniers virages pour passer à l'action. Pour une fois, tout s'est passé comme je le voulais. Le fait d'avoir déjà couru ici les Strade Bianche plusieurs fois m'a aidé. »
C'est là en effet que sa carrière sur route avait réellement débuté avec une prometteuse troisième place sur les Strade en 2018, à l'âge de 22 ans, avant de gagner deux ans plus tard. « Après cette longue période de disette, c'était sans doute écrit quelque part que je devais gagner à nouveau ici. »
Wout Van Aert a appris ces derniers temps à courir avec ses moyens (moins flamboyants), un constat qu'il faisait lui-même encore dimanche soir. « Si je compare mon état actuel à mon meilleur niveau, il y a encore un écart important. Même si je me sentais bien aujourd'hui (dimanche), je savais que mon salut passait par une situation favorable, car je ne suis plus vraiment capable de provoquer la situation moi-même comme je le faisais auparavant. »
Il avait donc attendu le bon moment sur des routes qu'il maîtrise, passant le premier secteur des chemins blancs au calme auprès des leaders du classement général avant que tout s'enchaîne à la suite de la chute dans le deuxième secteur. « C'est là que la dynamique de la course a changé, racontait-il. Les Ineos étaient les seuls en tête et ils ont immédiatement profité de la situation. C'est à ce moment-là que je me suis mis en tête, car j'avais compris que ça pouvait être ma journée. »
Même ses proches commençaient à douter de jours meilleurs ; sa femme présente sur la ligne d'arrivée avoua aux micros des journalistes belges à quel point cette longue période sans succès fut cruelle pour son mari. « Sa deuxième chute de l'année sur la Vuelta fut la plus dure à accepter, on se demande vraiment si tous ces efforts pour revenir valent vraiment la peine. Mais finalement, tout ça rend encore plus beau ce qui lui arrive aujourd'hui. »
Il était resté traîner plus longtemps que d'habitude autour de la ligne d'arrivée comme s'il ne voulait pas quitter cet endroit pour ressentir encore plus longtemps ces sentiments particuliers où la fierté et le soulagement se mélangeaient. « Je suis quelqu'un de naturellement très émotif et beaucoup d'émotions m'ont traversé l'esprit tout à l'heure en passant la ligne. Parce que cet endroit est magique, c'est peut-être même le plus beau pour une arrivée, on se croirait dans une arène, on sent les spectateurs si proches. »