21 heures passé, les tribunes du Chatrier se vident, le silence se fait et l'ocre s'endort. L'émotion, elle, ne s'efface pas, imprimée dans la rétine et dans le coeur de spectateurs soufflés, ébahis et harassés par un combat qu'ils ont pourtant seulement regardé.
Dans le stade ou devant notre télé, on était finalement tous un peu sur le ring avec ces deux géants-là, aimantés pendant 5 h 29'dans un monde qui leur appartient, bringuebalés dans les cordes, emportés par la violence des frappes et hypnotisés par la folie d'un scénario qu'aucun n'avait anticipé.
« C'était exceptionnel, soutenait Sébastien Grosjean quelques instants après avoir quitté le théâtre de l'une des plus belles pièces sportives du siècle. Le niveau de jeu, l'intensité, le drame, aussi, avec les occasions pour Jannik de s'imposer... Il s'est tout passé. C'est la plus belle finale de Roland-Garros que j'ai vue. » Là-dessus, tout le monde, à Roland ou à la maison, semblait se rejoindre hier soir. « Sans le moindre doute, la meilleure finale de l'histoire de Roland-Garros », affirmait Patrick Mouratoglou, suivi par Alexander Bublik : « Le plus beau match que j'ai vu de toute ma vie. »

« Assurément dans le top 10 des plus grands matches de l'histoire »
Stan Smith, ex-numéro 1 mondial
Amélie Mauresmo avouait même avoir « enlevé (s) a casquette » de directrice du tournoi. « J'étais spectatrice, amatrice et fan de tennis. Je me suis régalée. On s'attendait à un gros combat, mais à ce point-là, ça a dépassé mes attentes. » Lui aussi présent Porte d'Auteuil, Nicolas Mahut osait : « C'est la deuxième plus grande finale de tous les temps pour moi, derrière l'indétrônable Nadal-Federer de Wimbledon 2008, mais devant le Djokovic-Nadal de Melbourne (2012) ou le Djokovic-Federer de Wimbledon (2019). »
« Physiquement, c'est le deuxième match le plus intense que j'ai vu, car j'étais aussi en Australie en 2012, avec Novak et Rafa, et ils titubaient jusqu'à la ligne d'arrivée, rappelait Jim Courier. Celui-ci était probablement plus chargé en émotions à cause des balles de match. Donc, le suspense du quatrième set, et du troisième aussi, quand Jannik menait, était plus intense qu'en 2012. » Chacun fera son propre classement avec son vécu, sa subjectivité et ses émotions, celles avec lesquelles tous s'exprimaient après ce que Stan Smith qualifiait de « chef-d'oeuvre, assurément dans le top 10 des plus grands matches de l'histoire ».
« On peut prendre le temps d'analyser ce qui s'est passé tennistiquement, tactiquement, les balles de match, le retour manqué de Sinner sur deuxième balle à 5-3, 15-40 alors qu'il n'en rate jamais... Mais ce qu'il faut retenir, c'est ce que ça amène comme émotions, au public et aux téléspectateurs. C'est ça qu'on retiendra dans l'histoire du jeu, pensait Mahut. En tant que joueur et fan de ce sport, je ne retiens que les émotions que j'ai vécues sur ce match et les cinq heures de folie, avec quelques bas mais surtout des très hauts. Ils ne pouvaient pas rendre un meilleur hommage à Rafa, sur son court, avec sa plaque. C'est fantastique. On avait peur du vide après le Big 3 et ils font du bien au tennis. Je ne sais pas combien de Grands Chelems ils gagneront, mais leur rivalité va rester dans l'histoire. »

« On savait qu'il s'accrocherait jusqu'à sa dernière goutte d'énergie, mais je suis quand même surpris qu'il s'en soit sorti »
Juan Carlos Ferrero, entraîneur d'Alcaraz
Si Juan Martin Del Potro aurait aimé qu'on « donne le trophée aux deux joueurs », l'histoire retiendra que Carlos Alcaraz a remporté son cinquième titre du Grand Chelem au même âge, 22 ans, que Rafael Nadal. « J'imagine que c'est le destin, souriait le joueur espagnol. Faire comme mon idole, ma source d'inspiration, c'est un honneur et quelque chose que je garderai avec moi. »

Deux heures après avoir pour la première fois gagné un match en ayant eu deux sets de retard - « il n'y avait pas meilleure occasion pour le faire » -, le numéro 2 mondial assurait n'avoir jamais cessé d'y croire, pas même quand il a eu trois balles de match à écarter.
« Le match n'est pas terminé tant qu'il n'a pas gagné le dernier point. J'étais à un point de la défaite, oui, mais je voulais faire partie de ces joueurs qui ont sauvé des balles de match en finale de Grand Chelem et qui ont gagné. Ce n'était pas le moment d'être fatigué ni d'abandonner. » « Quand il a fait face à ces balles de match, Carlos m'a regardé, il a fait un geste avec sa raquette et m'a fait comprendre qu'il était encore bien là, racontait son entraîneur Juan Carlos Ferrero. Je ne savais pas s'il pourrait se relever de ce 0-40, mais encore une fois, avec Carlos, tout est possible. Je le sais capable de réaliser ce genre de choses, même si à première vue cela semble irréel. On savait qu'il s'accrocherait jusqu'à sa dernière goutte d'énergie, mais je suis quand même surpris qu'il s'en soit sorti. » Beaucoup moins qu'il ait joué le super tie-break du cinquième set avec le courage des plus grands et une agressivité permanente : « Carlos est né pour vivre de ce genre de moments. Même plus jeune, il y allait toujours dans ces instants compliqués. »
« C'était le moment d'y aller, pas d'avoir peur de faire des fautes, justifiait Alcaraz. Tout est question de confiance en soi. Je n'ai jamais douté de moi. C'est pour ça que j'ai joué mon meilleur tennis dans les moments clés et dans ces situations difficiles. J'essaie de ne pas avoir peur de cette pression. » Elle glisse sur ses épaules. Ce matin, celles de Jannik Sinner sont bien lourdes.