Deux gamins qui rigolent en se racontant des carabistouilles, un verre de champagne à la main. C'est l'image qui nous vient à l'esprit en observant Thierry Reboul et Thomas Jolly au Grand Palais Éphémère, le 24 juillet 2023, au soir de la signature du partenariat entre LVMH et Paris 2024. Une heure auparavant, le directeur de la marque et des événements de Paris 2024, attablé dans un café proche de l'École militaire, nous avait lancé que ce 26 juillet 2024, jour de la cérémonie d'ouverture sur laquelle il bosse exclusivement depuis plus de six mois, il serait au salon Air France de l'aéroport de Roissy, en compagnie de Thomas Jolly. Dans leurs poches, des billets pour plusieurs destinations en fonction de comment se passe la parade sur la Seine, premier lever de rideau olympique hors d'un stade. « C'était une boutade », prend-il la peine de nous préciser fin juin dans un bureau de Pulse, siège du COJO. « Au début avec Thomas, on s'était dit : "De toute façon, on aura fini notre boulot, on se met sur un toit et on regarde." C'était la version romantique », sourit-il. Une version qui n'a tenu que le temps de la formuler.
À la nuit tombée, le monsieur 100 idées du comité d'organisation sera aux manettes du centre de commandement de la CER 1, son nom de code, au Conseil économique social et environnemental (CESE dans le XVIe arrondissement) avec 400 personnes. Et Jolly pas trop loin de lui. « Thierry a inscrit ce projet dans ma vie, donc Thierry est dans ma vie, c'est quelque chose pour lequel je lui serai éternellement reconnaissant, éternellement », sourit l'ancien directeur du Quai d'Angers, le centre de théâtre contemporain de la ville.
Rien ne prédestinait la figure montante du spectacle vivant à mettre en scène la plus grande pièce de sa vie. Lorsqu'il décrit la cérémonie d'ouverture sur une double page dans L'Équipe, le 27 octobre 2021, en pleine préparation de la comédie musicale Starmania, Reboul n'en rate pas une ligne. « Je ne vais pas le voir tout de suite. Je suis au début de ma recherche, je me laisse un peu emporter par ce qui s'est fait auparavant, même si ce n'est pas mon genre, l'exemple anglais notamment et le fait d'aller plutôt chercher du côté du cinéma », rembobine Reboul, en citant le réalisateur Danny Boyle pour la cérémonie de Londres 2012.
« Un duo très complice, très joyeux parce qu'il en faut de la joie pour passer l'âpreté des problématiques que l'on peut rencontrer »
Thomas Jolly
« Plus j'en rencontre (des réalisateurs), plus je me rends compte que ce n'est pas exactement ce que l'on cherche par rapport à cette idée de la Seine où il faut trouver quelqu'un qui soit plus d'une culture du live, du spectacle vivant, que du cinéma », poursuit-il. Et alors que Didier Fusillier, ancien patron de la Villette aujourd'hui président du Grand Palais, lui avait déjà soufflé le nom du jeune metteur en scène d'Henri VI, il décroche son téléphone pour l'appeler. « On se retrouve, on finit je ne sais plus à quelle heure et avec combien de bières », se marre encore Reboul, qui en oublie de nous dire où.
Le lendemain de cette « chouette rencontre », il parle de Jolly à Tony Estanguet, le lui présente puis tout s'enchaîne. « On enclenche une mécanique dans laquelle les gens qui le rencontrent ont le même sentiment que moi », assure-t-il. Thomas Jolly (42 ans) enchaîne ainsi les rencontres avec la maire de Paris Anne Hidalgo, les membres du CIO, le Dijop (Délégué interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques) Michel Cadot et le président de la République avant que le patron de Paris 2024 lui envoie un SMS, le 29 août 2022 : « Bienvenue et félicitations, ça va être dingue cette aventure. Ravi de la partager avec toi. Tony. » Il appelle sa mère, émue aux larmes, et s'installe à Paris pour bosser en duo avec Reboul sept jours sur sept, ou presque.
« C'est un duo très complice, très joyeux parce qu'il en faut de la joie pour passer l'âpreté des problématiques que l'on peut rencontrer », reconnaît l'acteur qui voue « une confiance absolue » à Reboul, son aîné de quinze ans. « On s'est réparti les rôles car ce projet, même si Thomas officiellement dépend de moi, c'est grosso modo : à lui l'artistique, à moi la production », confirme le directeur de la création. « L'idée de Thierry de poser la cérémonie sur la Seine était incroyable et géniale mais pour dire quoi ? Et là, on est allé puiser dans chacun des sites, des monuments... Chaque pierre quasiment raconte quelque chose de notre histoire de France, de l'histoire de Paris, une histoire qui est reliée au monde », poursuit Jolly.
« Thomas me pousse en disant « on va tout mélanger, on va faire un grand spectacle et les athlètes font partie du spectacle » », enchaîne Reboul. « J'ai proposé, puisque tout était à réinventer, que l'on puisse entremêler ces trois grandes sections et que, 3 h 45 durant, on puisse avoir non seulement des délégations qui traversent les tableaux artistiques mais aussi des éléments de protocole qui s'intègrent, appuie le metteur en scène de Starmania. Le costume travaille avec la musique, avec la danse, ce qui reste quand même une célébration des athlètes. »
Des changements de plan jusqu'au dernier moment
Les multiples contraintes techniques, budgétaires, environnementales ou encore artistiques qui ont bridé leurs envies, sans parler des conditions météo obligeant à décaler les répétitions sur la Seine, n'ont pas provoqué de tensions entre eux. « Dieu sait qu'on a eu cinq cents occasions de s'engueuler, ça n'est jamais arrivé », confirme Reboul. « Bien sûr que lui ou moi, on s'est retrouvés dans des situations où il y avait des déceptions, pas de l'un à l'autre mais parce qu'on n'a pas réussi à faire passer certaines choses. On ne s'est jamais frités et c'était obligatoire », abonde Jolly. Il entraîne son complice à la rencontre de Daphné Bürki, qu'il a choisie pour imaginer les costumes, Victor Le Masne pour la musique, Maud Le Pladec pour la chorégraphie et souligne n'avoir jamais recruté les piliers de la cérémonie sans son feu vert.
Comme si l'actualité ne suffisait pas, avec notamment la grève d'une partie des danseurs lundi, le duo n'a jamais hésité à changer ses plans, modifier un tableau, au dernier moment. « C'est un truc qui nous rapproche et que l'on nous reproche, c'est là où on s'entend particulièrement bien. Il y a peu de limites », se marre Reboul. « C'est vraiment une histoire d'êtres humains qui sont en train d'échafauder un monument immatériel et éphémère », poétise Jolly.
