Quand elle a traversé la zone mixte d'un pas pressé, sans un mot ni un regard pour les quelques médias qui la guettaient à côté du central de Roland-Garros, c'est la compétitrice plus que le symbole que l'annexe réservée aux interviews d'après-combats a découvert.
Cindy Ngamba venait de quitter le court Philippe-Chatrier, dominée par la Panaméenne Atheyna Bylon (4-1) en demi-finale de la catégorie des -75kg, trois rounds où le soutien du public du central, qui hurlait sans réserve « Cin-dy, Cin-dy ! » en attendant le combat de Billal Bennama, n'aura pas suffi. Elle était bien assurée de quitter Paris 2024 avec une médaille de bronze, qu'elle aura autour du cou samedi, l'histoire était écrite, celle de la première athlète de l'équipe olympique des réfugiés à monter sur un podium aux JO, mais Ngamba n'avait pas le coeur à commenter.
Elle quitte le Cameroun pour la France puis rejoint avec sa famille l'Angleterre
C'est sans doute parce qu'à 25 ans, elle visait plus haut. En mars dernier, en Italie, elle avait décroché elle-même le quota qui la qualifiait pour les Jeux, fière d'être la première à ne pas avoir à bénéficier d'une place allouée par le CIO, qui aide aussi ainsi les athlètes de l'équipe qu'il a créée en 2015. Celle-ci était composée de 10 sportifs en 2016, pour sa première participation aux JO, à Rio, 29 à Tokyo en 2021. Ils sont 37 à Paris, et Ngamba a même été leur porte-drapeau, agitant la bannière aux anneaux sur la Seine, lors de la cérémonie d'ouverture, le 26 juillet.
La boxeuse personnifie les défis rencontrés par ces athlètes de bien des horizons, au point que Nike en a fait l'égérie d'une de ses campagnes publicitaires. Enfant, elle a quitté le Cameroun à 9 ans, pour d'abord s'installer en France avec sa mère Gisette et son frère Kennet, selon ce qu'elle rapportait au Bolton News, fin 2021.

Après deux ans dans l'Hexagone, elle avait, avec son aîné, rejoint son père à Bolton, près de Manchester. L'exil est pénible, l'acclimatation à l'Angleterre difficile et Ngamba, l'enfant joyeuse et joueuse de Douala, se renferme. « J'étais une fille costaude et j'ai été harcelée à cause de mon poids, pour ma manière de parler aussi, avec mon accent, confiait-elle à la BBC en mars dernier. J'étais très calme et réservée. »
Kennet joue alors le rôle du grand frère, et pousse Cindy à pratiquer un sport, autant pour perdre du poids que pour s'ouvrir à son nouvel univers. Elle s'essaie d'abord au foot, au Bolton Lads and Girls Club, mais c'est à la boxe qu'elle s'épanouira. Elle raconte souvent, dans cette histoire qu'elle a si souvent répétée ces derniers mois, d'avoir vu un jour passer un groupe de gars musclés, qui l'avaient intriguée, d'avoir ensuite été captée par le bruit sourd de leur frappe dans le sac, enivrée par l'odeur de cuir et de sueur de la salle. On ne lui fait pas de cadeau alors, quand elle insiste pour enfiler les gants : lors de sa première séance, répète-t-elle, l'entraîneur l'a cantonnée à 90 minutes de corde à sauter, loin du ring. Comme pour tester sa motivation.
« J'ai réussi à surmonter tout ce que j'ai vécu jusqu'ici (...). Alors quand je suis sur le ring et qu'on me dit qu'il reste 30 secondes, je sais que je peux y arriver. C'est ma mentalité »
Cindy Ngamba
Vite évidente. Car Ngamba dépassera rapidement le premier objectif de son frère, se délestant de 20 kg, pour passer de 110 à 90kg, et remportera le premier de ses trois titres nationaux en 2019. L'équipe nationale de boxe amateur la remarque, elle pourrait y avoir sa place, mais un obstacle l'en éloigne : la Camerounaise n'a pas de papiers en Angleterre. Cette situation lui vaudra une intense frayeur en 2019, où elle fut placée quelques heures (un jour ou deux, selon les sources) dans un camp de détention pour personnes en situation irrégulière.
En 2020, Ngamba a obtenu un statut de réfugiée parce qu'après avoir fait son coming-out, elle pourrait être en danger si elle revenait au Cameroun, où l'homosexualité est criminalisée, et peut-être passible de peines de prison allant de 6 mois à 5 ans. Mais, malgré son intégration, ce diplôme de criminologie décroché à l'Université de Bolton, et les démarches de l'équipe nationale, notamment auprès du ministère de l'Intérieur, elle n'obtient pas la nationalité anglaise, nécessaire pour participer aux Jeux derrière le drapeau du Royaume-Uni. Amanda Coulson, l'entraîneuse nationale, qui lui suggère alors de s'orienter vers l'équipe olympique des réfugiés, tout en l'autorisant à continuer à s'entraîner à Sheffield, avec les Anglais.
Les bons conseils comme sa propre ténacité ont poussé Ngamba jusqu'à une médaille de bronze olympique. « J'ai réussi à surmonter tout ce que j'ai vécu jusqu'ici, mon voyage au Royaume-Uni, être loin de ma mère, le harcèlement, apprendre la boxe, mes papiers, ma sexualité, évoquait-elle sur le site d'Eurosport. Alors quand je suis sur le ring et qu'on me dit qu'il reste 30 secondes, je sais que je peux y arriver. C'est ma mentalité. » Celle d'une compétitrice, qui ne se contente pas d'être un symbole.