Après une élimination décevante en quarts de finale de la Coupe d'Asie des nations au Qatar, le Japon va devoir rebondir dès ce mois de mars avec les éliminatoires pour la Coupe du Monde 2026. Et sur le chemin des Nippons se dresse la Corée du Nord : le match aller entre les deux sélections est prévu à Tokyo jeudi 21 mars et le match retour le 26, probablement pour l'instant, à Pyongyang.
Les sélections féminines des deux États se sont déjà opposées fin février, dans le cadre des qualifications aux Jeux Olympiques 2024. La Corée du Nord avait arraché le nul contre les Japonaises, sur terrain neutre à Riyad (0-0), puis le Japon l'avait emporté 2-1 à Tokyo quelques jours plus tard. Loin des enjeux sportifs, pourtant importants, l'attention est aujourd'hui tournée vers le contexte géopolitique tendu entre les deux pays.
Un contexte géopolitique tendu
Les rencontres de football entre la Corée du Nord et le Japon sont non seulement rares - la dernière date de 2017 pour les hommes - mais également chargées de tensions politiques et diplomatiques, principalement en raison des activités nucléaires et balistiques de Pyongyang.
« Le contexte de ces matches est compliqué parce que la Corée du Nord menace de manière régulière la mer du Japon et a par exemple encore envoyé des missiles il y a quelques semaines », explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. La détention par Pyongyang d'otages nippons, dix-sept selon le gouvernement japonais, est également l'un des principaux points de friction entre les deux États ces dernières années.

Les rencontres à venir, dont l'une d'entre elles devrait normalement se tenir au Stade Kim Il-sung à Pyongyang, posent également de sérieuses questions logistiques pour les délégations. « Lorsque les ressortissants japonais, par exemple, se rendent en Corée du Nord, ils entrent d'abord en Chine, puis procèdent à l'obtention d'un visa à l'ambassade nord-coréenne avant de passer par les procédures d'entrée en Corée du Nord », explique Tatsuya Takeuchi, journaliste sportif pour le magazine Gekisaka.
Une fois sur place, l'ambiance peut être très hostile pour les visiteurs, « En 2011, les supporters nord coréens avaient noyé l'hymne national du Japon sous les huées, l'atmosphère à Pyongyang est très oppressante », avance Dan Orlowitz, journaliste spécialiste du sport asiatique au Japan Times. Dans cette atmosphère oppressante d'un stade rempli de 50 000 supporters à Pyongyang, le Japon s'était d'ailleurs incliné en novembre 2011 (1-0, lors des qualifications pour le Mondial 2014) et n'est plus retourné en Corée du Nord depuis.
Le football nord-coréen à la dérive
Le football nord-coréen a connu quelques succès au cours de son histoire : deux qualifications en Coupe du Monde (1966 et 2010) et une demi-finale de Coupe d'Asie en 1980, au Koweït. Mais ces dernières années ont ressemblé à une longue traversée du désert. Le pays n'a pas participé aux trois dernières éditions du Mondial et piétine en phase de poules de Coupe d'Asie depuis 2011.
Pour Jean-Baptiste Guégan, ces mauvais résultats peuvent d'abord s'expliquer par « le modèle de développement sportif du pays ». La Corée du Nord a, en effet, longtemps reposé son système de formation sur des pratiques très autoritaires. Selon plusieurs médias régionaux, les joueurs revenus de l'édition 2010 de la Coupe du monde avec trois défaites dont un douloureux 7-0 face au Portugal, avaient subi des heures d'humiliation publique. Le sélectionneur de l'époque, Kim Jong-Hun, aurait également été condamné aux travaux forcés. « Il y a un décrochage lié au système de production de la performance nord-coréen. Celui d'avant ne fonctionne plus parce qu'il y a plus de concurrence en Asie », ajoute Guégan.
De plus, la formation des joueurs nord-coréens s'est toujours appuyée sur un système en vase clos, qui n'a pas permis son bon développement. « Il n'y a pas de joueurs nord-coréens dans les grands Championnats, donc ça veut dire que leur formation est vraiment liée à une production locale. Quand on ne participe pas aux tournois internationaux, on ne peut pas s'aguerrir et monter en niveau », commente Jean-Baptiste Guégan.
« Il est difficile de créer une génération de footballeurs qualifiés quand vos clubs n'ont pas un gros niveau et quand vous ne pouvez faire former vos joueurs qu'entre eux uniquement », ajoute Lukas Aubin, directeur de recherche à l'IRIS et spécialiste de la géopolitique du sport. « La Coupe du monde 2010 aurait pu être un accélérateur pour devenir une nation qui compte au niveau asiatique et se qualifie pour des coupes du monde, mais ça n'a pas été le cas pour la Corée du Nord », expose Kévin Veyssière, spécialiste de la géopolitique du sport et fondateur de Football Club Geopolitics.
« Pour les dirigeants nord-coréens, le football est souvent synonyme d'humiliation »
Lukas Aubin, directeur de recherche à l'IRIS et spécialiste de la géopolitique du sport
Les différentes défaites et les échecs ont fini par parachever le désintérêt du pouvoir nord-coréen pour le football. « C'est un régime qui cherche à éviter les humiliations, qui cherche à affirmer une forme de fierté et de supériorité à l'égard de pays occidentaux notamment. Évidemment, le football n'apparaît pas comme la meilleure des solutions dans ce contexte », explique Lukas Aubin.
Des rencontres synonymes de rapprochements ?
Pour certains observateurs, ces matches au contexte particulier peuvent être un premier pas vers une amélioration future des relations entre les deux pays. « Le sport peut aussi permettre le rapprochement de certains pays en rupture diplomatique », rappelle Lukas Aubin. « On a déjà vu par le passé, en 1971 quand il y a eu la fameuse diplomatie du ping-pong entre les États-Unis et la Chine » , illustre le spécialiste.
Cependant, pour Jean-Baptiste Guégan, « il faudrait avant tout un volontarisme politique derrière pour permettre un apaisement ». Or, cela ne semble pas encore être le cas aujourd'hui. « La Corée du Nord a une stratégie, finalement, qui consiste à faire le "yoyo", c'est-à-dire faire monter la pression sur la question sportive pour ensuite la faire redescendre juste avant que les éléments ne se produisent. Dès que les compétitions se terminent, ils font de nouveau remonter la pression », explique-t-il.
Du côté du pouvoir politique japonais, en revanche, on se montre plus clair. Le premier ministre nippon Fumio Kishida avait déclaré le 5 février dernier qu'il était « extrêmement important pour lui de prendre l'initiative d'établir des liens au plus haut niveau », avec Pyongyang et que Tokyo ne devait « pas perdre de temps ».